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LETTRES DE SAINTE-BEUVE

louer et meubler, rue de Vaugirard, un modeste logement. Ils étaient chez eux !

Alors commence une vie charmante et touchante d’amour et de travail. Adèle est devenue tout de suite enceinte, elle accoucha d’un garçon, le 12 juillet 1823, neuf mois, jour pour jour, après le mariage. Quelle joie pour les jeunes époux ! Joie bientôt changée en douleur : l’enfant, auquel on avait donné une nourrice, mourait le 12 octobre, anniversaire même de leur mariage ! Et leur amour, si grand, eut ainsi son seul accroissement possible : pleurer ensemble.

Victor Hugo réconfortait de son mieux la pauvre mère, ayant, lui, son réconfort, le travail : car, à travers les joies et les deuils, il continuait d’être le grand laborieux qu’il fut toute sa vie. Il avait promptement terminé son roman commencé de Han d’Islande, qu’il publia en janvier 1823. Tout en poursuivant ses études et ses lectures, il préparait un nouveau volume de poésies. Sa manière et sa visée y prennent plus d’ampleur. Mais, comme autrefois sa fiancée, ce qui l’inspire encore le mieux, c’est sa femme. Son amour est maintenant de l’adoration, et les vers qu’il lui adresse sont d’un sentiment qu’il n’a nulle part dépassé.

ENCORE À TOI

À toi ! toujours à toi ! Que chanterait ma lyre ?
À toi l’hymne d’amour ! À toi l’hymne d’hymen !
Quel autre nom pourrait éveiller mon délire ?
Ai-je appris d’autres chants ? Sais-je un autre chemin ?

C’est toi dont le regard éclaire ma nuit sombre ;
Toi dont l’image luit sur mon sommeil joyeux ;
C’est toi qui tiens ma main quand je marche dans l’ombre.
Et les rayons du ciel me viennent de tes yeux.
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Je t’aime comme un être au-dessus de ma vie,
Comme une antique aïeule aux prévoyants discours,
Comme une sœur craintive à mes yeux asservie,
Comme un dernier enfant qu’on a dans ses vieux jours.

Hélas je t’aime tant qu’à ton nom seul je pleure…

SON NOM

Le parfum d’un lys pur, l’éclat d’une auréole,
La dernière rumeur du jour,
La plainte d’un ami qui s’afflige et console,
L’adieu mystérieux de l’heure qui s’envole,
Les doux bruits d’un baiser d’amour…
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