Page:Revue de Paris - 1902 - tome 2.djvu/832

Cette page a été validée par deux contributeurs.
824
la revue de paris

« Ce n’est pas scandaliser personne, que de dire ceci, conclut Fontaine. On sait assez que dans un lieu où il y a plusieurs personnes rassemblées, il est difficile qu’il n’arrive quelque petit démêlé.»

Ce n’était pas seulement par esprit de mortification que les Messieurs de Port-Royal consacraient aux ouvrages des mains une grande partie de leurs journées. Saint Jérôme, dans le désert de la Thébaïde, s’imposait volontairement des besognes bizarres, comme de porter sur sa tête des corbeilles remplies de sable ou de tresser des nattes avec l’écorce des palmiers. Le Dieu de la Bible n’a-t-il pas commandé à notre premier père de gagner son pain à la sueur de son front ? Des pénitents, moins que personne, ne sauraient s’affranchir de cette loi du travail. Un Solitaire qui loge dans une caverne et que nourrissent dévotement les lions et les corbeaux, n’a que faire de tenir son ménage et d’assurer sa subsistance. Il est bien obligé de rompre la contemplation par des exercices hygiéniques et des travaux qu’on pourrait appeler « de fantaisie ». Mais nos ermites de Port-Royal s’appliquaient par nécessité à des ouvrages pénibles.

Nulle part la pauvreté chrétienne n’était plus honorée et mieux pratiquée qu’à Port-Royal. La Mère Angélique donnait l’exemple du plus pur désintéressement, de la plus scrupuleuse délicatesse. Toujours prête à recevoir sans dot les filles qui montraient des marques évidentes de vocation, elle refusait les postulantes riches et bien apparentées. Les libéralités des Messieurs n’avaient pu enrichir le monastère. Tous ou presque tous, après les Arnauld et les Le Maistre, avaient placé leur bien à fonds perdu chez les religieuses, ne se réservant qu’une modeste pension. La petite communauté laïque devait se suffire à elle-même, chacun travaillant pour tous et tous pour chacun, et Port-Royal présente cette singularité d’avoir été dans la France monarchique du xviie siècle une sorte de Coopérative, un véritable Phalanstère chrétien.

L’abbaye possédait environ trois cent quatre-vingts arpents de terre labourable, neuf cent vingt-cinq de bois taillis et