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une journée de port-royal des champs

poudre, quelques autres pour M. Duclos et ses pilules, cela fit une grande division. M. Jacques l’emporta. Chacun des Solitaires voulut avoir une provision de la poudre miraculeuse, pour guérir, pour prévenir même toutes les maladies, et braver M. Hamon… Pendant ce temps, M. Hamon, retiré dans sa chambre où personne ne le venait quérir, pleurait le malheur de ses frères, et, tout au fond de son âme, le pénitent et le médecin se livraient d’étranges combats. Le pénitent se réjouissait d’être méprisé et méconnu ; le médecin voyait déjà tous les Messieurs tomber de la dyspepsie dans la bradypepsie… Et quelle sorte de gens lui préférait-on ?… Pour M. Duclos, passe encore !… C’était un confrère qui peut-être avait dépensé quatre mille livres pour obtenir son titre et ne déshonorait pas la Faculté. C’était un homme poli, qui avouait ses formules et expliquait ses ordonnances. Mais ce M. Jacques, un impertinent, un empoisonneur qui faisait le mystérieux pour cacher son ignorance, et méritait le nom de boucher plutôt que celui de médecin !…

Ainsi tous les Messieurs étaient partagés pour les deux empiriques, et, quand les derniers défenseurs de M. Hamon rapportaient mille accidents causés par les charlatans, les autres répondaient en nommant telles et telles personnes que la Faculté avait tuées. Quelques Solitaires, veillant les malades, au lieu de s’occuper des pensées de l’éternité, leur vantaient la poudre de M. Jacques ou les pilules de M. Duclos. C’en était trop : M. Hamon déclara franchement à M. de Saci qu’il s’était bien trompé, « et qu’au lieu de trouver dans ce lieu des personnes parfaitement chrétiennes, il était surpris d’en trouver même qui n’étaient pas bien raisonnables ». M. de Saci en fut affligé, car il ne fuyait pas moins la nouveauté « dans la manière de guérir les corps que dans celle de guérir les âmes ». Il fit appeler les partisans de M. Duclos et de M. Jacques, et les pria de laisser mourir les gens en paix ; il ajouta « que cette pente qu’on avait pour les empiriques, et cette aversion pour M. Hamon, prouvait qu’on n’était pas fort avancé dans la vie de la pénitence et qu’on se donnait trop de liberté en ce point ». Insensiblement, il rangea tout le monde à son avis, et, les empiriques abandonnés, M. Hamon put saigner et purger ses frères tout à son aise.