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une journée de port-royal des champs

d’automate. On ne faisait plus une affaire de battre un chien. On lui donnait fort indifféremment des coups de bâton et on se moquait de ceux qui plaignaient les bêtes comme si elles eussent senti de la douleur. On disait que c’étaient des horloges ; que ces cris qu’elles faisaient quand on les frappait n’étaient que le bruit d’un petit ressort qui avait été remué ; mais que tout cela était sans sentiment. On clouait de pauvres animaux sur des ais, par les quatre pattes, pour les ouvrir tout en vie et voir la circulation du sang qui était une grande matière d’entretien[1]. »

Jamais M. de Saci ne voulut s’occuper de ces « curiosités ». Il s’indignait qu’on torturât des animaux et qu’on osât comparer le soleil « à un amas de rognures ». Mais ce fut vers cette époque que M. Singlin envoya Blaise Pascal[2] à Port-Royal des Champs, « où M. Arnauld lui prêterait le collet en ce qui regarde les sciences, et où M. de Saci lui apprendrait à les mépriser ». M. de Saci ne fut point ébloui de tout « ce brillant de M. Pascal qui charmait néanmoins et enlevait tout le monde ». Comme il avait l’habitude de parler de la peinture à M. de Champaigne et de la médecine à M. Hamon, il crut devoir mettre M. Pascal sur son fort et lui parler des lectures de philosophie dont il s’occupait le plus. C’est peut-être dans la cour des Granges, près du fameux puits, que le jeune Fontaine, attentif et respectueux, entendit Pascal et M. de Saci discourir sur Epictète et Montaigne. C’est assurément dans la douceur de cet asile et le pieux silence de ces bois, que Pascal médita les premières Provinciales.

M. de Saci portait en toutes choses un esprit de paix. Parmi des hommes disposés à la controverse par devoir et peut-être par inclination, il fuyait toutes les disputes et demeurait toujours paisible. Il arrivait parfois entre les Messieurs « de petits refroidissements de charité ». M. de Saci présidait aux réconciliations, et empêchait les rapports et racontars étourdis qui eussent mis la guerre dans la maison. Ces grands pénitents, qui pratiquaient avec joie les austérités les plus rigoureuses et qui souhaitaient verser leur sang pour

  1. Mémoires de Fontaine.
  2. Pascal fit de fréquents séjours à Port-Royal, sans s’y établir tout à fait.