Page:Revue de Paris - 1902 - tome 2.djvu/827

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
819
une journée de port-royal des champs

avec une modération qui pouvait passer pour méritoire chez un ancien avocat.

M. de Saci n’était pas moins exact à garder le silence et la solitude. Il redoutait les visites des curieux, des oisifs, des gens venus soi-disant pour s’édifier et qui rapportaient à la Cour de fausses nouvelles. Il disait même qu’il faudrait ajouter cette prière aux Litanies : Ab inimico furioso, et ab amico doloso, libera me, Domine ! Mais tous les Solitaires n’avaient pas la même affection que lui pour la retraite, et M. d’Andilly, le plus civil des hommes, ne savait pas toujours fermer la porte aux indiscrets. Fontaine se plaît à dire que, « quand il survenait en ce lieu quelque personne, les Solitaires la fuyaient comme ils eussent fui un serpent ». À la vérité, si les femmes n’étaient pas reçues aux Granges, et si les religieuses mêmes voyaient peu les Solitaires, au parloir — la Mère Angélique ayant défendu qu’on dérangeât la tourière sans affaire pressante — Port-Royal avait quelques amis fervents, assidus, qui étaient presque de la maison. C’étaient des gentilshommes et des ecclésiastiques qui demandaient la faveur d’y venir faire un « renouvellement » de cinq à six mois, et que M. Giroust de Bessi recevait au logement des Hôtes. C’étaient M. Yssali, M. Richer, le duc de Liancourt et surtout le duc de Luynes.

Celui-là venait en voisin, de son château de Vaumurier, dont on aperçoit encore les ruines. M. du Bel-Air avait dirigé les travaux de ce bâtiment qui devait être en quelque sorte une dépendance de Port-Royal. Pendant les troubles de la Fronde, le duc, tout au chagrin d’un récent veuvage, s’était enfermé avec les Messieurs dans l’abbaye que les religieuses abandonnaient[1]. Il avait fait construire quatre tours le long des murailles, n’épargnant ni ses forces ni son argent, et tout pareil à un général d’armée. Alors, comme au temps d’Esdras, « où le peuple de Dieu bâtissant Jérusalem tenait la truelle d’une main, et l’épée de l’autre », on voyait les Solitaires faire office de maçons et de soldats. De pauvres reclus étaient tout à coup travestis en gens de guerre, montaient la garde,

  1. Les religieuses, revenues à Port-Royal des Champs en 1648, durent se renfermer dans leur maison de Paris en 1652, et retournèrent aux Champs l’année suivante. Les Messieurs retournèrent alors dans la ferme des Granges.