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AR MÔR


Ce soir-là, quand les chariots de la tribu s’arrêtèrent pour leur halte accoutumée de la nuit, l’odeur singulière qui, depuis plusieurs jours déjà, accueillait la marche des Kymris migrateurs, dans leur exode vers les terres du couchant, se fit tout à coup si forte et si pénétrante que les buffles eux-mêmes, au lieu de se répandre dans les herbages, sitôt dételés, restèrent, les naseaux tendus, à humer l’air avec une sorte d’inquiétude. On eût dit que, là-bas, derrière les collines âpres et tourmentées qui barraient l’horizon, vers l’ouest, d’immenses cassolettes invisibles fumaient, imprégnant l’espace d’un arôme irritant et subtil, tel que les patriarches de la horde ne se souvenaient point d’en avoir respiré de semblable, au cours de leurs étapes les plus heureuses à travers les plaines les plus embaumées.

Jamais forêts en travail de printemps, jamais vallées foisonnantes ni steppes en fleurs n’avaient distillé de suc aussi merveilleux. Cela se buvait dans le vent comme un philtre et se déposait sur les lèvres comme une manne imperceptible, d’une indéfinissable saveur… Et les hommes s’étonnaient de se sentir aux veines un sang plus frais et plus fougueux, tandis que, dans les yeux avivés des femmes, transparaissait un ciel nouveau où des ardeurs insolites montaient.