en dehors des crimes commis sans motif. Il est permis de croire que Griffin avait pris cette tige de fer comme arme, oui, mais sans aucune intention arrêtée de s’en servir pour un assassinat. Wicksteed, en passant, aura remarqué cette tige qui s’agitait dans l’espace d’une façon inexplicable. Ne pensant pas le moins du monde à l’homme invisible — car Port-Burdock est à dix milles de là, — il aura poursuivi cette tige. Selon toute vraisemblance, il n’avait pas même entendu parler de l’homme invisible. On peut, dès lors, imaginer celui-ci prenant la fuite pour éviter que l’on ne découvrît sa présence, et Wicksteed, intrigué, s’attachant à la poursuite de cet objet mobile, incompréhensible, et finissant par le frapper.
Nul doute que, dans des circonstances ordinaires, l’homme invisible aurait pu facilement distancer le brave homme, un peu alourdi, qui le pourchassait ; mais la position où fut trouvé le corps de Wicksteed donne à penser qu’il eut le malheur d’acculer sa proie dans un coin, entre deux touffes d’orties et la sablonnière. Pour qui connaît l’extraordinaire irritabilité de Griffin, le reste de l’aventure est facile à reconstituer.
Mais ce n’est qu’une hypothèse. Les seuls faits incontestables (car on ne peut pas toujours faire grand fond sur les récits des enfants), c’est la découverte du corps de Wicksteed, mort sur le coup, et la découverte de la tige de fer, tachée de sang, jetée au milieu des orties. L’abandon de cette tringle par Griffin fait croire que, dans l’émotion de l’affaire, il renonça au dessein pour lequel il l’avait prise, si tant est qu’il eût un dessein. Certes, il était profondément égoïste et sans entrailles ; mais la vue de sa victime, sanglante et pitoyable à ses pieds, peut avoir rouvert en lui une source de remords depuis longtemps contenue ; il peut avoir été un moment troublé, quelque plan qu’il eût d’ailleurs adopté.
Après le meurtre de Wicksteed, il semblerait avoir pris à travers champs, dans la direction de la dune. On raconte que, vers le coucher du soleil, deux hommes occupés dans un pré pas loin de Fern-Bottom, entendirent une voix. Cette voix gémissait et riait tour à tour : elle sanglotait, pleurait,