Page:Revue de Paris - 1900 - tome 6.djvu/840

Cette page a été validée par deux contributeurs.

invisible, la bouche pleine, et dévorant avec avidité. — Drôle de manie !

— Ce poignet va tout à fait bien, je pense ?

— Fiez-vous-en à moi.

— Tout de même, il est bizarre…

— Je ne dis pas non. Mais il est singulier aussi que je me sois jeté justement dans votre maison, à vous, pour avoir mon pansement : c’est ma première bonne fortune !… Quoi qu’il en soit, je me proposais de dormir ici cette nuit : il faut que vous y consentiez. Il est bien fâcheux que du sang ait révélé ma présence, n’est-ce pas ? Il y en a un caillot là-bas. Mon sang devient visible en se coagulant. Ce n’est que mon tissu vivant que j’ai transformé, et seulement pour la durée de mon existence… Je suis depuis trois heures déjà dans votre maison.

— Comment cela se fait-il ? — demanda Kemp d’un ton irrité. — Du diable si… En cette affaire, tout est extravagant d’un bout à l’autre.

— Tout est logique, parfaitement logique ! — répliqua l’homme invisible, en étendant la main pour prendre la bouteille de whisky.

Kemp regardait avec ébahissement cette robe de chambre dévorer. Un rayon de la bougie, pénétrant obliquement par une déchirure, à l’épaule droite, projeta un triangle de clarté sous les côtes gauches.

— Qu’était-ce que ces coups de feu ? Comment la bataille a-t-elle commencé ?

— C’est une espèce d’imbécile, une manière d’associé à moi… maudit soit-il !… qui a essayé de me voler mon argent. Et il y a réussi.

— Est-il, lui aussi, invisible ?

— Non.

— Alors ?

— Ne pourrais-je pas avoir autre chose à manger avant de vous dire tout cela ?… Je suis affamé, je souffre, et vous me demandez de vous raconter des histoires ! »

Kemp se leva :

— Mais vous, vous n’avez pas tiré ?

— Moi, non. Un idiot que je n’avais jamais vu tirait à tort