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Le fauteuil cria et Kemp sentit qu’on lui prenait le verre des mains. Il dut faire un effort pour le lâcher : son instinct était en révolte. Le verre s’éloigna et resta en équilibre, à vingt pouces au-dessus du bord antérieur du fauteuil. Kemp le regardait avec une perplexité infinie.

— Cela est, cela ne peut être que de l’hypnotisme ! dit-il. Vous devez m’avoir suggéré que vous étiez invisible.

— Allons donc !

— Mais cela est fantastique !

— Écoutez-moi.

— J’ai démontré, ce matin même, d’une manière concluante, que l’invisibilité…

— Peu importe ce que vous avez démontré ! Je meurs de faim, et la nuit est froide pour un homme qui n’a pas de vêtement.

— Vous voulez manger ? demanda Kemp.

Le verre de whisky se pencha de lui-même.

— Oui, — répondit l’homme invisible, en le reposant avec un bruit sec. — Avez-vous une robe de chambre ?

Kemp eut une sourde exclamation. Il se dirigea vers sa garde-robe et en tira un vêtement d’étoffe rouge sombre.

— Cela fait-il votre affaire ?

Le vêtement lui fut pris des mains ; il flotta en l’air, flasque, pendant un moment ; puis il s’agita d’étrange façon, se dressa, moulant un corps, se boutonna de lui-même et s’assit dans le fauteuil.

— Un caleçon, des chaussettes, des pantoufles, tout cela me ferait bien plaisir, — dit l’homme invisible, — brièvement. Et de quoi manger !

— Oui, quelque chose… C’est bien l’aventure la plus insensée qui me soit jamais arrivée !

Kemp retourna ses tiroirs pour y trouver ce qu’on lui demandait ; puis, étant descendu fouiller l’office, il revint avec du pain et des côtelettes froides, et mit le tout sur une table légère devant son hôte.

— Pas besoin de couteau, dit celui-ci.

Et une côtelette se trouva suspendue en l’air ; on entendit un bruit de mastication.

— J’aime toujours être vêtu pour manger, — dit l’homme