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— Laissez-moi me redresser… Je resterai où je suis… Laissez-moi tranquille une minute. »

Kemp s’assit et se tâta le cou.

— Je suis Griffin, de l’University College. Je me suis rendu invisible. Je ne suis qu’un homme comme les autres, un homme que vous avez connu, devenu invisible.

— Griffin ?

— Oui, Griffin !… — répondit la voix, — un étudiant plus jeune que vous, presque albinos, haut de six pieds, de forte carrure avec des yeux rouges dans une figure rose et blanche… qui obtint la médaille de chimie.

— Je suis abasourdi… Ma tête éclate… Qu’est-ce que tout ceci a à voir avec Griffin ?

— Mais… c’est moi qui suis Griffin.

Kemp réfléchit.

— C’est horrible ! fit-il. Mais par quelle sorcellerie un homme peut-il devenir invisible ?

— Il n’y a pas de sorcellerie. C’est un procédé scientifique, et assez facile à comprendre.

— C’est horrible !… Comment diable…

— Horrible, si vous voulez. Mais je suis blessé, je souffre, je suis éreinté… Bon Dieu ! Kemp, vous êtes un homme. Un peu de calme. Donnez-moi à boire et à manger, et laissez-moi m’asseoir là.

Kemp regardait le bandage se mouvoir à travers la pièce ; il vit un fauteuil d’osier, traîné sur le parquet, venir se placer auprès du lit. Le fauteuil craqua sous le poids d’une personne et le siège en fut abaissé d’un quart de pouce environ. Le docteur se frotta les yeux et de nouveau se tâta le cou.

— C’est plus fort que les histoires de revenants ! dit-il.

Et il se mit à rire machinalement.

— Cela va mieux, Dieu merci ! Voilà que vous devenez raisonnable.

— Ou idiot ! répondit Kemp.

Et il se frotta encore les yeux.

— Donnez-moi du whisky. Je suis à peu près mort.

— Sapristi ! il n’y paraissait pas tout à l’heure… Où êtes-vous ? Si je me lève, ne tomberai-je pas sur vous ? Là !… Fort bien. Le whisky ? Tenez ! Où faut-il vous le donner ?