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même, revint à l’esprit de Kemp. On ne saurait dire s’il fut, à ce moment, plus effrayé ou plus surpris. Ce n’est que plus tard qu’il put s’en rendre compte.

— Je croyais que tout cela n’était qu’une invention ! (Ce qui dominait en lui, c’était encore ses raisonnements du matin.) Est-ce que vous avez un pansement ?

— Oui, répondit l’homme invisible.

— Oh ! fit Kemp.

Il reprit son sang-froid :

— Voyons, c’est absurde ! C’est quelque tour…

Il s’avança soudain, et sa main étendue vers le bandage rencontra des doigts invisibles. Il recula au contact, et changea de couleur.

— Rassurez-vous, Kemp, pour l’amour de Dieu !… J’ai besoin de secours, un besoin urgent. Attendez !

Une main lui saisit le bras. Il donna un coup sur la main.

— Kemp, cria la voix, Kemp, rassurez-vous !

Et l’étreinte se resserra. Un désir furieux de se délivrer s’empara de lui. Mais la main du bras bandé l’empoigna par l’épaule ; il fut secoué à perdre l’équilibre et jeté à la renverse sur le lit. À peine avait-il ouvert la bouche pour crier, que le coin du drap lui fut enfoncé entre les dents. L’homme invisible le maintenait sous lui d’une manière inquiétante ; mais, du moins, Kemp avait les bras libres, et, des pieds comme des mains, il s’efforçait de donner des coups.

— Soyez raisonnable, n’est-ce pas ? — dit l’homme invisible en s’attachant à lui, sans s’inquiéter des bourrades qu’il recevait dans les côtes.

— Par le Ciel ! vous allez me rendre fou !

— Demeurez là, imbécile ! — hurla l’homme invisible dans l’oreille de Kemp.

Celui-ci lutta encore un moment, puis resta tranquille.

— Si vous criez, je vous écrase la figure… Je suis invisible. Il n’y a là ni sottise ni magie. Je suis bien réellement un homme invisible. Et j’ai besoin de votre aide. Je ne veux pas vous faire de mal ; mais, si vous vous conduisez comme un rustre forcené, j’y serai contraint. N’avez-vous pas gardé souvenir de moi, Kemp… Griffin, de l’University College ?