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— C’est une histoire vraiment extraordinaire. Il y a un pasteur et un médecin comme témoins. Ils l’ont vu eux-mêmes… Ou plutôt, non, ils ne l’ont pas vu !… Il était descendu, dit le journal, à l’auberge du pays, et personne ne semble s’être avisé de son infirmité jusqu’au jour où, dans une altercation — c’est le journal qui le dit, — les bandages qu’il avait sur la tête se trouvèrent arrachés. On s’aperçut alors que sa tête était invisible. Aussitôt on tâcha de s’emparer de lui : « Rejetant ses vêtements, — dit toujours le journal, — il réussit à s’échapper, mais seulement après une lutte désespérée dans laquelle il avait infligé de sérieuses blessures à notre digne et excellent agent, M. J.-A. Jaffers… » L’histoire est assez précise, hein ? Les noms, et tout.

— Bon Dieu ! — répéta M. Marvel, promenant tout autour de lui des regards effarés, essayant de compter sa monnaie dans sa poche du bout des doigts, à tâtons, et plein d’une nouvelle idée étrange.

— C’est une histoire tout à fait étonnante.

— N’est-ce pas ? Extraordinaire, j’ose le dire. Jamais auparavant je n’avais entendu parler d’homme invisible ; mais, par le temps qui court, on entend des choses si invraisemblables que…

— Et c’est là tout ce qu’il a fait ? demanda Marvel d’un air dégagé.

— Eh bien, ce n’est pas suffisant, peut-être ?

— Et il ne s’est pas échappé, par hasard ? Oui, il s’est échappé, et voilà tout, hein ?

— Voilà tout, en effet… N’est-ce pas suffisant ?

— Oh ! si !

— Je crois bien, dit le marin, je crois bien !

— N’avait-il pas de complices ?… Le journal ne dit point qu’il eût des complices, n’est-ce pas ? demanda M. Marvel, anxieux.

— N’est-ce donc pas assez pour vous d’un bonhomme de ce genre-là ? Non, Dieu merci, peut-on dire, il n’en avait pas.

Et le marin courba la tête lentement.

— Cela me met vraiment mal à mon aise, l’idée que ce gaillard-là court le pays… Pour l’heure, il est en liberté ; et,