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XIV

À PORT-STOWE


À dix heures, le lendemain matin, M. Marvel se trouvait, la barbe non faite, sale, couvert de poussière, les mains enfouies dans les poches, l’air très las, mal à l’aise, agité, enflant les joues à chaque instant, assis sur un banc devant une petite auberge des faubourgs de Port-Stowe. Auprès de lui étaient les fameux livres, mais attachés maintenant avec une ficelle. Quant au paquet, il avait été abandonné dans les bois, à la sortie de Bramblehurst : c’était la conséquence d’une modification apportée aux plans de l’homme invisible. Personne ne faisait attention à M. Marvel, assis sur ce banc ; pourtant son agitation continuait à tenir de la fièvre ; ses mains ne cessaient de se porter successivement à ses diverses poches, qu’elles fouillaient avec une curiosité nerveuse.

Il était resté là bien près d’une heure, lorsqu’un marin d’un certain âge sortit de l’auberge avec un journal à la main et vint s’asseoir à côté de lui.

— Il fait beau aujourd’hui ! dit le nouveau venu.

M. Marvel lui lança un regard qui semblait chargé d’effroi.

— Oui, très beau.

— Le vrai temps de la saison ! ajouta l’autre d’un ton qui ne permettait pas la contradiction.

— Oui, en effet…

Le marin tira un cure-dent de sa poche et commença de s’en servir avec méthode. Ses yeux, cependant, avaient toute liberté d’examiner les vêtements poudreux de son voisin et les livres placés auprès de lui. Au moment où il s’était approché de M. Marvel, il avait entendu comme un bruit de pièces de monnaie tombant dans une poche, et il avait été frappé du contraste entre l’extérieur de M. Marvel et cet indice d’une opulence relative. Aussi revenait-il obstinément à une idée qui s’était d’abord, d’une manière bizarre, emparée de son imagination.