Page:Revue de Paris - 1900 - tome 6.djvu/498

Cette page a été validée par deux contributeurs.

pays pour les chaussures, vraiment ! Mais c’est bien là ma chance ordinaire : des hauts, des bas ! Je me suis servi dans ce pays dix ans, sinon plus. Et, maintenant, être traité de cette façon-là !…

— C’est un sale pays, dit la voix. Et quant aux habitants : de sales gens !

— N’est-ce pas ? dit Thomas Marvel. Seigneur ! ces bottes, c’est une horreur !

Il tourna la tête, par-dessus son épaule, à droite, pour examiner les chaussures de son interlocuteur avec l’idée de faire la comparaison. Ah ! bien, ouiche ! Là où auraient dû être les pieds de l’interlocuteur, il n’y avait ni pieds ni jambes. Il se retourna vers la gauche : là non plus, il n’y avait rien. Une lueur d’étonnement lui traversa l’esprit.

— Où êtes-vous ? dit-il, en se mettant à quatre pattes.

Il vit une certaine étendue de la dune solitaire. Le vent agitait au loin les genêts verdoyants.

— Suis-je donc ivre ? se demanda M. Thomas Marvel. Ai-je eu des hallucinations ? Est-ce à moi-même que je parlais ? Que diable !…

— N’ayez pas peur, reprit la voix.

— Assez de ventriloquie comme ça ! — dit Marvel, se dressant vivement sur ses pieds. — Où êtes-vous ?… Peur ? Plus souvent !…

— N’ayez pas peur, répéta la voix.

— C’est vous qui aurez peur dans une minute, imbécile ! Où êtes-vous ? Que je vous attrape !…

Après un intervalle :

— Vous êtes donc mort et enterré ?

Pas de réponse. M. Thomas Marvel restait là, déchaussé, stupéfait, sa veste posée à terre.

— Piwitt ! siffla un vanneau dans le lointain.

— Piwitt, piwitt ! fit M. Marvel. Ce n’est pas l’heure de plaisanter.

La dune était désolée, à l’est et à l’ouest, au nord et au sud. La route, avec ses fossés peu profonds et ses poteaux blancs en bordure, courait unie et solitaire au sud comme au nord ; et, sauf ce vanneau, le ciel bleu, lui aussi, était vide.

— Que Dieu m’assiste ! — fit M. Thomas Marvel, en