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bizarre et hérissée. Son corps avait une tendance à l’embonpoint et ses membres courts accentuaient encore cette disposition. Il portait un chapeau de soie aux poils rebroussés ; et les boutons remplacés trop souvent par des bouts de ficelle, aux endroits de son costume qui avaient le plus besoin d’être soutenus, trahissaient le célibataire endurci.

M. Thomas Marvel était assis sur le bord de la route, à environ un mille et demi d’Iping. Ses pieds déchaussés passaient à travers les trous de ses chaussettes ; on voyait ses larges orteils se dresser comme les oreilles d’un chien en arrêt. Nonchalamment — il faisait tout nonchalamment, — il se disposait à essayer une paire de bottes. C’étaient bien les bottes les meilleures qu’il eût possédées depuis nombre d’années, un peu trop larges seulement ; celles qu’il portait, très convenables pour les temps secs, avaient la semelle vraiment trop mince pour les jours pluvieux. Or, M. Thomas Marvel détestait les chaussures larges ; d’autre part, il redoutait infiniment l’humidité. Jamais, en somme, il ne s’était bien inquiété de ses préférences ; mais la journée était belle, et il n’y avait rien de mieux à faire. Aussi disposa-t-il les quatre chaussures en un groupe harmonieux sur le sable, puis il les examina. En les voyant là, dans l’herbe naissante, il lui vint à l’esprit que ces deux paires étaient très vilaines. Il ne fut pas du tout étonné d’entendre une voix derrière lui.

— En tout cas, ce sont des chaussures ! disait cette voix.

— Oui, des chaussures données, — répondit M. Marvel, les considérant, la tête penchée, avec mépris. — Quelle est la paire la moins horrible des deux ? Sacristi ! je veux être pendu si je le sais !

— Hem ! fit la voix.

— Au fond, j’en ai porté de plus mauvaises… il m’est même arrivé de ne pas en porter du tout… mais pas de plus cyniquement laides, passez-moi l’expression !… Dire que j’ai mendié des chaussures pendant des jours, parce que j’étais dégoûté de celles que j’ai !… Celles-ci, évidemment, sont en bon état… Nous autres, touristes, nous tenons beaucoup à nos souliers… Vous me croirez si vous voulez, j’ai eu beau chercher, je n’ai pas trouvé autre chose, dans ce sacré pays !… Voyez-moi un peu ça !… Et, cependant, en général, un bon