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pénétré ce jour-là qu’un pauvre petit rayon de soleil, l’étranger, affamé — nous devons le supposer, — craintif, enveloppé dans ses vêtements chauds et incommodes, lisait attentivement son journal à travers ses lunettes fumées, ou entrechoquait ses petites bouteilles sales, et, de temps à autre, pestait bruyamment contre les enfants qu’il entendait, sans les voir, en dehors des fenêtres. Dans un coin, auprès du foyer, les morceaux d’une demi-douzaine de bouteilles brisées ; une odeur piquante de chlore empoisonnait l’air. Voilà tout ce que nous savons, d’après ce que l’on devina d’abord et ce que l’on trouva plus tard dans la chambre.

Vers midi, l’étranger ouvrit tout à coup la porte de son salon et apparut, regardant fixement les trois ou quatre personnes qui étaient dans le bar.

— Madame Hall ! appela-t-il.

Quelqu’un aussitôt alla timidement prévenir madame Hall.

Après un moment, celle-ci arriva, un peu essoufflée mais d’autant plus furieuse. Hall était toujours absent. Elle avait préparé la scène et apportait sur un petit plateau la note à régler.

— Est-ce votre note que vous désirez, monsieur ?

— Pourquoi ne m’a-t-on pas donné à déjeuner ? Pourquoi n’a-t-on ni servi mon repas, ni répondu à mes coups de sonnette ? Pensez-vous que je puisse vivre sans manger ?

— Et ma note, pourquoi n’est-elle pas payée ? répliqua madame Hall. Voilà ce que je voudrais bien savoir !

— Je vous ai dit, il y a trois jours, que j’attendais de l’argent…

— Et je vous ai répondu, il y a trois jours, que je n’avais pas à attendre vos entrées de fonds. Vous ne pouvez pas vous plaindre de ce que votre déjeuner est un peu en retard, puisque ma note est bien en retard depuis cinq jours, n’est-ce pas ?

L’étranger lança un juron bref, mais énergique.

— Non ! non ! entendit-on du dehors.

— Je vous serais vraiment obligée, monsieur, si vous vouliez garder vos jurons pour vous.

Les yeux de l’étranger prirent une expression de plus en plus irritée. On estima généralement, dans le bar, que madame Hall avait l’avantage sur lui. La suite de l’entretien montra qu’on ne se trompait pas.