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sévèrement attrapé par sa femme pour le temps qu’il avait passé à Sidderbridge ; ses questions timides furent accueillies avec aigreur, sans qu’elle répondît à l’objet de ses préoccupations. Mais, en dépit des rebuffades, la graine de méfiance semée par Teddy germait dans sa cervelle.

— Vous ne savez pas tout, vous autres femmes ! dit M. Hall, résolu à être renseigné le plus tôt possible sur la qualité de son hôte.

Dès que l’étranger fut couché, vers neuf heures et demie, M. Hall entra, l’air agressif, dans le salon, et il examina d’un œil soupçonneux le mobilier de sa femme, pour bien affirmer que l’étranger n’était pas maître dans la place ; il reluqua, non sans un peu de mépris, une feuille d’opérations mathématiques oubliée par l’autre. En se retirant, il recommanda à madame Hall de veiller de très près aux bagages, quand ils arriveraient le lendemain.

— Occupez-vous de vos affaires, Hall ! répliqua celle-ci ; moi, je m’occuperai des miennes.

Elle était d’autant plus portée à quereller son mari que l’étranger était évidemment un voyageur extraordinaire, et que, au fond, elle ne se trouvait pas du tout rassurée sur son compte. Au milieu de la nuit, elle s’éveilla en sursaut, rêvant de grosses têtes, blanches comme des navets, montées sur des cous sans fin, avec de gros yeux noirs, qui s’avançaient vers elle en rampant. Mais, femme de bon sens, elle maîtrisa ses terreurs, se retourna et se rendormit.


III

LES MILLE ET UNE BOUTEILLES


C’est le 29 février, au commencement du dégel, que le singulier personnage était tombé des nues à Iping. Le lendemain, on apporta ses bagages, à travers la neige fondue. C’étaient des bagages bien remarquables. Il y avait deux malles, telles que le premier venu peut en posséder ; mais, en outre, il y avait une caisse de livres — de livres gros et