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Son hôte – elle le vit en entrant – était assis dans le fauteuil devant le feu, assoupi à ce qu’il semblait ; sa tête emmaillotée s’inclinait de côté. Pour toute lumière dans la chambre, la lueur rougeâtre qui venait du foyer. Tout était ou violemment éclairé ou tout à fait sombre. Elle avait d’autant plus de peine à rien distinguer qu’elle venait précisément d’allumer la lampe du bar et que ses yeux étaient encore éblouis. Mais, pendant une seconde, il lui parut que l’homme qu’elle regardait avait une bouche énorme, béante, une bouche invraisemblable, qui « mangeait » tout le bas de sa figure. Ce fut une image instantanée : une tête enveloppée de blanc, de gros yeux à fleur de front, et, au-dessous, un large four.

Alors, il bougea, il se redressa sur son siège, il leva la main. Ayant ouvert la porte toute grande, pour que la chambre fût mieux éclairée, madame Hall le vit plus nettement : il tenait un foulard sur sa figure, tout comme elle l’avait vu auparavant tenir sa serviette. L’obscurité, pensa-t-elle, l’avait trompée.

— Est-ce que vous voudriez bien permettre que monsieur vienne arranger l’horloge ? dit-elle en surmontant son trouble.

— Arranger l’horloge ? répéta le voyageur, jetant autour de lui des regards endormis et parlant par-dessus sa main ; puis, tout à fait réveillé : — Mais, certainement !…

Madame Hall sortit pour prendre une lampe ; lui se leva et s’étira. Alors, la pièce éclairée, M. Teddy Henfrey se trouva face à face avec l’homme aux bandeaux. Il en fut, disait-il, « tout chose ».

— Bonjour ! lui dit l’étranger, en le fixant « avec des yeux de langouste », selon l’expression pittoresque de M. Henfrey qui désignait ainsi les lunettes aux verres fumés.

— J’espère, dit celui-ci, que je ne vous gêne pas.

— Non, pas du tout, répondit l’étranger. Pourtant, j’entends – et il se tournait vers madame Hall – que cette pièce soit bien à moi, pour mon usage particulier.

— Je pensais, monsieur, que vous préféreriez que l’horloge…

— Certainement, certainement… Mais, règle générale, je désire être seul et que l’on ne me dérange pas.