Nous échangeons quelques mots, suffoqués par notre émotion réciproque, et il me raconte qu’il s’est engagé publiquement par serment à ne plus jamais servir sous d’autre drapeau que celui du roi.
Mes larmes coulent encore ; un grenadier à cheval de la garde, ancien dragon de mon régiment, me rencontre et me dit : « Mon général, permettez-moi de vous prendre la main. » Je la lui donne, il la mouille de ses larmes sans pouvoir parler. Mais son silence est expressif.
Nous nous reposons une journée, la consternation est peinte sur tous les visages, chacun est accablé de fatigue et de chagrin.
27 mars. – Nous partons de bonne heure pour Béthune où doit avoir lieu notre licenciement. Sur la route, j’aperçois venant à nous un régiment de cuirassiers, je distingue de loin leur cocarde tricolore et je tremble que, personne ne voulant céder le pas, une collision ne se produise. Je m’avance alors en
avant de ma compagnie et, pour prévenir toute manifestation hostile : « Monsieur, lui dis-je brièvement, chacun prend sa droite. » Chacun, alors, sans autre explication, exécute le mouvement
commandé. Heureusement la route est large. Nous sommes couverts de boue, avec des uniformes souillés et
déchirés, et des chevaux harassés, mais nous nous redressons quand même tandis que défilent les cuirassiers dont la superbe tenue ne nous paraît pas enviable. Notre fière contenance en impose au régiment qui s’éloigne ; pas un cri n’est proféré et on garde de part et d’autre le silence le plus complet.
Nous arrivons à Béthune dans la matinée. M. Denniée est chargé par Bonaparte de faire prendre nos chevaux ; nous les rendons à deux régiments de chasseurs, et mes hommes ne conservent que leurs armes et leurs porte-manteaux. L’opération se fait avec la plus grande peine ; les gardes du corps, les volontaires, les mousquetaires semblent ne pouvoir se résigner à livrer leurs montures ; des scènes navrantes ont lieu. Ouelques-uns, poussés par le chagrin, se laissent aller à la colère la plus vive et s’emportent contre le colonel de Lauriston qu’ils rendent responsable de cette mesure rigoureuse. On en entend même s’écrier qu’on les a vendus à Bonaparte ; j’inter-