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les plaines contre leurs tentes sur les hauteurs, mais Ismaël n’était pas revenu.

On racontait dans la tribu qu’il était parti vers Nahel avec ses bergers, ses dromadaires et sa charge de myrrhe ; mais, la milice turque, qui les guettait, les cerna. On réclama la dîme. On confisqua leurs chameaux, et, retenant Ismaël comme otage, on renvoya les autres bergers querir sa rançon. Mais Amrani, s’opposant à l’avis de son père, refusa de payer, et l’indignation du vieux chef, ainsi offensé, fut si grande qu’un jour, comme la tribu errait parmi les gorges basaltiques, le cheik se jeta du haut de son dromadaire, et mourut.

Alors Amrani ayant répandu dans le campement la nouvelle de la mort d’Ismaël, épousa Nahima…

C’était encore l’époque des brises matinales et des rosées nocturnes. Sur les sables des pâturages de menues plantes souffreteuses épandaient encore leur chétive pâleur et des senteurs douces et tristes flottaient sur le haut plateau de Tyh.

Le soir descendait.

De jeunes garçons jouaient à l’entrée du camp. Soudain un des enfants aperçut un étranger qui s’avançait péniblement. Il courut vers lui, mais il s’arrêta, car jamais il n’avait vu un homme aussi misérable. Son vêtement loqueteux pendait autour de la maigreur tremblante de ses membres, sa face était livide comme si elle était longtemps restée sans voir la lumière. Pourtant son regard doux rassura l’enfant, qui lui tendit la main et lui dit avec fierté :

— Sois le bienvenu ; je suis le fils du chef.

— Son nom ?

— Amrani.

— Le nom de ta mère ?

— Nahima… Mais qu’as-tu ?

L’homme s’écroula. Après un instant, il se releva et dit à l’enfant stupéfait :

— Ne reste pas avec moi, retourne vers ta mère. Mais ne dis à personne que tu m’as vu.