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— La loi est pour ton frère. La force devient inutile. Essaie la ruse. Si Nahima le préfère à toi, persuade-la de lui réclamer une dot énorme. Il ne pourra la constituer, car son cœur n’est pas aux exploits : ta cousine, alors, ne manquera pas de t’échoir, et je donnerai à Ismaël une fille d’esclave qui le consolera.


Le soir, apprenant, que sa cousine exigeait un cadeau de noces, Ismaël dit à son père :

Quand la myrrhe sera glanée, je descendrai moi-même avec les hommes vers la route. Je veux conquérir pour ma fiancée les trésors qu’elle me demande.

Le vieux chef s’étonna d’une telle décision, et il conçut des craintes ; mais impassiblement lui répondit :

— À chacun son destin.


Pour la dernière fois avant son départ, Ismaël retourna aux pâturages.

La myrrhe était glanée. Les chameaux, le ventre aplati contre le sol inégal, cols et museaux allongés horizontalement sur la terre brûlée, ruminaient entre leurs lèvres baveuses la verdure de naguère, et, avec le clignotement mélancolique de leurs cils blancs, ils le regardèrent passer. Des arômes affadis, des arômes de plantes défuntes s’évaporaient pesamment dans l’air incandescent, et les roseaux autour de l’aiguade tarie s’étiraient nus et blanchis comme des ossements.

Nourr, plus maigre, plus brune, plus loqueteuse que jamais, tournait sa quenouille et filait en se servant de son orteil ainsi que d’un rouet. Ismaël lui offrit le salut, mais elle ne répondit pas.

Alors, comme le soir de l’arrivée de son frère, le pâtre sentit une inquiétude l’envahir. Il lui sembla que cette lande infinie, cette lande grise et désolée pénétrait dans son cœur ; et, tristement, sans se retourner, il s’en alla.

Les années passèrent sur Sinaï.

Les Djamala avaient maintes fois échangé leurs gourbis dans