Page:Revue de Paris - 1900 - tome 1.djvu/838

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Les deux frères se regardaient. Une joie narquoise étincelait dans les yeux d’Amrani ; Ismaël se souvint d’avoir été humilié la veille, et une sourde hostilité les animait.

— On dit que tu es fiancé à la fille de notre oncle ?

— On le dit.

Ils se turent. Puis Amrani :

— Elle me plaît.

— Et c’est pour cela que tu es venu ?

— C’est pour cela.

— Tu es venu trop tard, et ce qui est fait est fait.

Et, impatienté par l’attitude méprisante d’Amrani, il le repoussa, et voulut aller son chemin.

Mais son frère, étonné de cette fermeté, soudainement s’adoucit et il insinua :

— Écoute. Je sais qu’elle est à toi. Mais je suis l’aîné, et, si tu veux renoncer à elle, tu choisiras parmi mes richesses.

— Que m’importent tes richesses ! Tu as cavales, armes et tapis, tu es un illustre héros. Moi, je n’ai rien, et je ne suis qu’un glaneur de myrrhe. Mais je l’aime : laisse-la-moi !

Et, attendri par ses propres paroles, Ismaël s’enfuit, pour ne pas pleurer devant son frère.

Dans sa peine, il se souvint de Nourr, de ses yeux et de son sourire tristes. Il l’avait oubliée depuis le soir des fiançailles. Il la chercha, et il la vit courant parmi la broussaille et les flocons de testi, pareille, elle aussi, à une touffe de laine noire. Il l’appela, mais elle disparut…


Amrani entra dans la tente de son oncle :

— Ta fille me plaît, accorde-la-moi pour épouse.

— Cela est impossible : elle est fiancée à ton frère. Du sang a été répandu entre Ismaël et les hommes de ta famille. Je ne puis me parjurer, car j’aurais contre moi et tes parents et toute la tribu.

Alors Amrani alla vers son père et lui dit :

— Conseille-moi.

Le vieux chef consulta le ciel, il flaira le vent, il écouta les bruits, il historia le sable avec la pointe de son bâton, puis enfin il répondit :