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Le cerf gémit avec tristesse, et les lèvres de Bagheera se retroussèrent dans un malicieux sourire.

— Les hommes connaissent-ils cette histoire ? dit-elle.

— Personne ne la connaît que les tigres, et nous, les éléphants… les Enfants de Tha ! Maintenant, vous avez entendu, vous tous au bord de la rivière, et j’ai dit.

Hathi plongea sa trompe dans l’eau, pour signifier qu’il ne voulait plus parler.


— Mais… mais… mais — dit Mowgli, en se tournant du côté de Baloo — pourquoi le premier tigre ne continua-t-il pas à se nourrir d’herbe, de feuilles et d’arbustes ? Il ne fit que rompre le cou au chevreuil. Il ne le mangea pas. Qu’est-ce qui l’amena donc à goûter de la chair fraîche ?

— Les arbres et les lianes l’avaient marqué, petit frère, et avaient fait de lui la bête rayée que nous voyons. Jamais plus il ne voulut manger de leurs fruits ; mais, à partir de ce jour, il se vengea sur le cerf et les autres, les mangeurs d’herbe, dit Baloo.

— Alors, toi, tu connais l’histoire, hein ? Pourquoi ne me l’as-tu jamais dite ?

— Parce que la Jungle est pleine de ces histoires-là. Si j’avais commencé, je n’en aurais jamais fini… Lâche mon oreille, petit frère !


rudyard kipling
Traduit par Louis Fabulet et Robert d’Humières.