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Hathi ne fait jamais les choses qu'en leur temps, et c'est une des raisons pour lesquelles sa vie est si longue.

— Dans un pareil moment, tuer l'Homme ! N'y avait-il pas d'autre gibier sur pied ? dit avec mépris Bagheera, qui sortit de l'eau souillée, en secouant les pattes, l'une après l'autre, à la manière des chats.

— J'ai tué par goût, non par besoin.

Le murmure d'horreur reprit, et le petit œil blanc attentif de Hathi se leva dans la direction de Shere Khan.

— Par goût ! répéta Shere Khan, d'une voix traînante. Et, maintenant, je viens boire et me nettoyer. Y a-t-il quelqu'un pour m'en empêcher ?

Le dos de Bagheera s'arquait déjà comme un bambou dans le grand vent, mais Hathi leva sa trompe, et dit tranquillement :

— C'est par goût que tu as tué ?

Lorsque Hathi pose une question, il vaut mieux lui répondre.

— Mais oui. C'était mon droit et ma Nuit. Tu sais, ô Hathi.

Le ton de Shere Khan était devenu presque courtois.

— Oui, je sais, répliqua Hathi.

Et après un court silence :

— As-tu bu tout ton soûl ?

— Pour cette nuit, oui.

— Va-t'en, alors. La rivière est là pour y boire et non pour la salir. Nul que le Tigre Boiteux ne se serait vanté de son droit dans un temps pareil, lorsque, lorsque nous souffrons ensemble — Homme et Peuple de la Jungle — pareillement. Propre ou non, retourne à ton gîte, Shere Khan !

Les derniers mots sonnèrent comme des trompettes d'argent, et les trois fils de Hathi roulèrent en avant, d'un demi-pas, bien qu'il n'y en eût pas besoin. Shere Khan s'esquiva, sans même oser grogner, car il savait — ce que chacun sait — qu'en dernier ressort Hathi est le Maître de la Jungle.

— Quel est ce droit dont parle Shere Khan ? chuchota Mowgli dans l'oreille de Bagheera. Tuer l'homme est toujours