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regard sur les lignes de cornes cliquetantes et d'yeux effarés où le Cerf et le Sanglier se poussaient de côté et d'autre. Et, se couchant tout de son long, un flanc hors de l'eau, elle ajouta :

— Bonne chasse vous tous de mon sang !

Puis, entre ses dents :

— N'était la Loi, cela ferait une très, très bonne chasse.

Les oreilles vite dressées des cerfs saisirent la fin de la phrase, et un murmure de frayeur courut le long de leurs rangs.

— La Trêve ! Rappelez-vous la Trêve !

— Paix là, paix ! gargouilla Hathi, l'éléphant sauvage. La Trêve est déclarée, Bagheera. Ce n'est pas le moment de parler de chasse.

— Qui le saurait mieux que moi ? répondit Bagheera en roulant ses yeux jaunes vers l'amont. Je suis une mangeuse de tortues, une pêcheuse de grenouilles. Ngaayah ! Je voudrais profiter en ne mâchant que des branches !

— Et nous donc, nous le souhaiterions de grand cœur ! bêla un jeune faon né ce printemps-là seulement, et qui ne s'en louait guère.

Si abattu que fût le Peuple de la Jungle, Hathi lui-même ne put étouffer un rire, tandis que Mowgli, accoudé dans l'eau chaude, s'esclaffait en faisant sauter l'écume avec ses pieds.

—Bien parlé, petite corne en bouton ! ronronna Bagheera. Quand la Trêve prendra fin, on s'en souviendra en ta faveur.

Et il darda sur lui son regard à travers l'obscurité, pour être sûr de reconnaître le faon.

Petit à petit, la conversation s'étendait en amont, en aval, à toutes les places où l'on buvait. On pouvait entendre le sanglier chamailleur et grognon réclamer plus d'espace ; les buffles bougonner entre eux en faisant des embardées dans les bancs de sable ; les cerfs raconter les histoires pitoyables de longues marches forcées en quête de provende. De temps en temps, ils adressaient par-dessus la rivière quelque question aux Mangeurs de Chair, mais toutes les nouvelles