Page:Revue de Paris - 1899 - Tome 2.djvu/830

Cette page n’a pas encore été corrigée

quelque chose de meilleur que de l'écorce sèche et des feuilles flétries. Les buffles n'avaient trouvé ni fondrières pour s'y vautrer au frais ni récoltes vertes à voler. Les serpents avaient quitté la Jungle pour descendre à la rivière dans l'espoir d'attraper quelque grenouille échouée ; ils se lovaient autour des pierres humides, et ne cherchaient pas à frapper si, par hasard, le groin d'un sanglier, en fouillant, venait à les déloger. Les tortues de rivière, depuis longtemps, avaient été tuées par Bagheera, reine des chasseurs, et les poissons s'étaient enfouis profondément dans la vase craquelée. Seul le Roc de la Paix reposait au milieu de la mince couche d'eau, comme un long serpent, et les petites rides, toutes lasses, sifflaient en s'évaporant sur ses flancs brûlés.

C'était là que Mowgli venait la nuit chercher quelque fraîcheur et de la compagnie. Les plus affamés de ses ennemis se seraient à peine souciés du garçon maintenant. Sa peau nue le faisait paraître plus maigre et plus misérable qu'aucun de ses camarades. Sa chevelure avait tourné au blanc d'étoupe sous l'ardeur du soleil ; ses côtes ressortaient comme celles d'un panier, et les callosités de ses genoux et de ses coudes, sur lesquels il avait l'habitude de se traîner à quatre pattes, donnaient à ses membres réduits l'apparence d'herbes nouées. Mais son œil, sous la broussaille retombante de ses cheveux mêlés, restait clair et tranquille, car Bagheera, son conseil des jours difficiles, lui recommandait de remuer sans bruit, de chasser sans hâte, et de ne jamais, sous aucun prétexte, perdre son sang-froid.

— C'est un mauvais moment, dit la Panthère Noire, un soir, par une chaleur de fournaise, mais il passera, pourvu que nous vivions jusqu'au bout. Ton estomac est-il garni, Petit d'Homme ?

— Il y a quelque chose dedans, mais cela ne me profite guère. Penses-tu, Bagheera, que les Pluies nous ont oubliés et ne reviendront jamais ?

— Non, je ne le pense pas. Nous verrons encore fleurir le mohwa, et les petits faons devenir gras d'herbe tendre. Descendons au Roc de la Paix pour savoir les nouvelles. Sur mon dos, Petit Frère !