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devons travailler tous à bâtir la cathédrale de l’art européen. La place du directeur de la Sixtine était toute marquée parmi les premiers constructeurs.

Don Perosi s’assied au piano, et joue le Te Deum de la Nativité qu’il vient d’écrire la veille. Il joue d’un jeu très doux, d’une allégresse juvénile qu’il accompagne en chantant à mi-voix les parties chorales. À tout instant, il se retourne vers moi, non pour chercher une approbation, mais pour voir si nous pensons ensemble. Il regarde alors bien en face, avec ses yeux tranquilles, puis revient à sa partition, puis me regarde encore. Et je sens un calme bienfaisant qui rayonne de lui, de sa personne et de sa musique, de l’heureuse harmonie d’une vie sereine, abondante et bien rythmée. Combien cela est reposant des tempêtes et des convulsions de l’art de ces derniers temps ! Allons-nous donc enfin sortir des angoisses romantiques, inaugurées en musique par Beethoven ? Après un siècle de batailles, de révolutions, de déchirements politiques et sociaux, dont le trouble s’est reflété dans l’art, allons-nous commencer à construire la cité d’art nouvelle, où les hommes se grouperont fraternellement dans l’amour d’un même idéal ? — Si utopique que soit encore cette espérance, regardons ceci comme un symptôme des nouvelles directions de la pensée, et souhaitons à Don Perosi de ramener dans la musique la paix divine, cette paix réclamée avec désespoir par Beethoven à la fin de sa Missa solemnis, et cette joie qu’il a chantée, sans l’avoir connue.


romain rolland