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L’ÎLE DE PÂQUES


On m’appelle !… C’est de la part de l’amiral, ce soir, — et comme hier, comme avant-hier, quand on m’avait appelé ainsi à des heures insolites, je pressens du nouveau, qui pourrait bien me ramener encore une fois dans l’île sombre.

En effet, l’amiral souhaiterait posséder un dieu en pierre, remplissant certaines conditions de taille et de physionomie ; comme il sait que son aspirant de majorité a beaucoup fréquenté dans les cases, il me demande si je me chargerais de lui procurer cela, et de le faire vite, demain au petit jour, sans retarder le départ de la frégate qui reste fixé à six heures.

Justement j’en connais, une idole, qui répond à son idéal, chez le vieux chef lui-même ; je prends l’engagement de la lui rapporter avant l’appareillage, en échange d’une redingote qu’il me confiera ; — et, charmé de retourner encore à Rapa-Nui, je prépare avant de m’endormir plusieurs phrases de langue polynésienne, pour une dernière et suprême causerie avec mes amis sauvages.


V


7 janvier.

À quatre heures du matin, je suis en route, dans la baleinière de l’amiral. Par hasard, le temps est calme, mais si couvert, si noir ! Depuis notre arrivée, c’est la même chose à la fin de chaque nuit : un voile obscur, tout d’une pièce, retarde le lever du jour sur l’île et sur la mer.

Et me voici donc une fois de plus, dans la demi-obscurité matinale, au milieu des brisants et des récifs, revenant vers la baie où je ne pensais plus reparaître. Les aspects encore nocturnes de ce rivage sont aussi fantastiques aujourd’hui que le matin de ma première visite. De lourdes ténèbres demeurent dans les fonds, sur les vieux volcans morts, tandis que s’éclairent déjà vaguement les grèves. Çà et là, parmi les roches et les cases à peine dessinées, brillent des feux dans l’herbe, dansent des flammes jaunes, et, devant l’on voit passer les ombres de quelques sauvagesses, qui rôdent alentour, en surveillant des cuissons de racines ou d’ignames ; à mesure qu’on approche, des odeurs de fumée vous viennent,