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L’ÎLE DE PÂQUES

mais seulement sa tête, sa grosse tête qui pèse déjà quatre ou cinq tonnes ; alors, on se met en devoir de lui scier le cou. Par bonheur, elle est en une sorte de pierre volcanique assez friable, et les scies mordent bien, en grinçant d’une manière affreuse…

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Ayant terminé, dans la bousculade, mes croquis pour l’amiral, je m’en vais, moi ; la fin de la manœuvre et l’embarquement de l’idole massacrée ne m’intéressent plus. Avec mes fidèles, Atamou, Petero, Marie et Juaritaï, je m’en retourne vers la baie où sont les cases en roseaux, pour voir un peu à la réparation de ma couronne de plumes, que Houga m’a promis de finir ce soir même.

Et je le trouve bien au travail, comme je l’espérais, ce brave petit sauvage ; il a coupé la queue à un coq noir pour remplacer les plumes avariées, et cela avance, cela prend vraiment très grand air.

Le vieux chef, comme je passe devant sa grotte, m’appelle par signes ; d’un air engageant et confidentiel, il me montre une poussière sombre, qu’il tient enveloppée dans un étui de feuilles mortes et qu’il nomme « tatou ». C’est de la poudre à tatouer, et, puisque je semble apprécier l’industrie de Rapa-Nui, il me propose de me faire sur les jambes quelques légers dessins bleus, en échange de mon pantalon que je lui offrirais pour sa peine.

Un autre vieillard aussi m’emmène chez lui, pour échanger, contre une boîte d’allumettes suédoises, une paire de boucles d’oreilles en épine dorsale de requin. Je rapporterai donc, ce soir encore, mille choses étonnantes.


Dominant cette baie, qui est devenue notre quartier général, il y a le cratère de Rano-Kaou[1], le plus large peut-être

  1. À l’île de Pâques, le nom de tous les volcans commence par Rano, ce qui signifie proprement : étang. C’est qu’en effet, la partie profonde de tous ces cratères est devenue avec le temps un marécage, où les indigènes, après les pluies, viennent chercher de l’eau. Mais, pour avoir choisi cette appellation de Rano, il faut donc que les Maoris, en prenant possession de l’île, aient trouvé ces volcans déjà éteints et convertis en réservoirs. Cela détruirait cette théorie généralement admise que l’île aurait été bouleversée et diminuée par le feu depuis que les Maoris l’habitent. — P. L