s’inquiète de ce que sera le retour, avec le poids de l’idole en plus, et il faudra sûrement faire deux voyages pour ramener les cent matelots.
Les indigènes se sont réunis en masse sur la plage et poussent des cris perçants pour nous recevoir. Depuis hier, la nouvelle de l’enlèvement prochain de la statue s’est répandue parmi eux, et ils sont accourus de toute part pour nous regarder faire ; il en est venu même de ceux qui habitent la baie de La Pérouse, de l’autre côté de l’île ; aussi voyons-nous beaucoup de figures nouvelles.
Le lieutenant de vaisseau qui commande la corvée tient à ce que les cent hommes s’acheminent vers le maraï en rangs et au pas, les clairons sonnant la marche ; cette musique jamais entendue met la peuplade entière dans un état de joie indescriptible, — et ils deviennent difficiles à tenir en bon ordre, les matelots, avec toutes ces belles filles demi-nues, qui autour d’eux gambadent et s’amusent.
Au maraï, par exemple, il n’y a plus de discipline possible ; cela devient une folle confusion de vareuses de marine et de chairs tatouées, une frénésie de mouvement et de tapage ; tout ce monde se frôle, se presse, chante, hurle et danse. Au bout d’une heure, à coups de pinces et de leviers, tout est bousculé, les statues plus chavirées, plus brisées, et on ne sait pas encore laquelle sera choisie.
L’une, qui paraît moins lourde et moins fruste, est couchée la tête en bas, le nez dans la terre ; on ne connaît pas encore sa figure, et il faut la retourner pour voir. Elle cède aux efforts des leviers manœuvrés à grands cris, pivote autour d’elle-même et retombe sur le dos avec un bruit sourd. Son retournement et sa chute donnent le signal d’une danse plus furieuse et d’une clameur plus haute. Vingt sauvages lui sautent au ventre et y gambadent comme des forcenés… Ces vieux morts des races primitives, depuis qu’ils dorment là sous leur tumulus, n’ont jamais entendu pareil vacarme, — si ce n’est peut-être quand ces statues ont perdu l’équilibre, secouées toutes ensemble par quelque tremblement de terre, ou bien tombant de vieillesse, une à une, le front dans l’herbe.
C’est bien celle-là, décidément, la dernière touchée et retournée, que nous allons emporter ; non pas tout son corps