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LA REVUE DE PARIS

de s’immobiliser dans des poses de bête, il serait d’apparence affreuse, sans la douceur extrême de son regard. Je ne semble plus l’intéresser particulièrement et j’abrège ma visite.

Désirant emporter une de ces coiffures en plumes noires, d’un mètre de largeur, comme j’en ai vu sur la tête de quelques vieux personnages difficiles à aborder, je m’en ouvre à Houga, celui qui comprend le mieux mes phrases hésitantes, et nous commençons ensemble nos recherches. Il m’introduit alors dans plusieurs cases, où sont accroupis des ancêtres à figure bleue et à dents blanches, immobiles comme des momies, et qui d’abord ne paraissent pas remarquer ma présence ; l’un d’eux cependant est occupé : il arrache les dents à une mâchoire humaine pour remettre des yeux d’émail à son idole. Il y a là en effet, accrochées sous la toiture, de très grandes couronnes de plumes ; mais les vieillards en demandent des prix fous : mon pantalon de toile blanche, et ma veste d’aspirant avec ses galons d’or, — ma veste neuve, puisque hier j’ai vendu l’autre. C’est trop cher ; il faut y renoncer. Et Houga, me voyant désolé, me propose d’en réparer pour ce soir une un peu ancienne, un peu usée qu’il possède chez lui, et de me la céder en échange d’un pantalon seulement, — ce que j’accepte.

Allons maintenant faire au vieux Robinson danois notre visite, depuis hier promise.

Les abords de sa maisonnette, à eux seuls, sont déjà pour serrer le cœur, avec ce semblant de véranda, ce semblant de petit jardin, où poussent quelques maigres plantes dont il a dû apporter les graines… Quel exil que celui de cet homme, qui, en ce pays presque vide, n’a même pas un bouquet d’arbres, même pas un peu de verdure où reposer sa vue. Et en cas de détresse, de maladie ou de menace de mort, aucune possibilité de communiquer avec le reste du monde…

Il est parti dès l’aube pour la chasse aux lapins, — nous explique avec mille grâces et en nous priant d’entrer quand même, son épouse morganatique : une Maorie entre deux âges et plutôt fanée, qui est naturellement la grande élégante de l’île et qui porte ce matin une tunique en mousseline aune[1], avec une couverture de voyage en laine rouge,

  1. WS : jaune ?