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LA REVUE DE PARIS

Le soir, à bord, étant de service pour la nuit, je parcours les documents que possède l’amiral sur l’île de Pâques, depuis qu’elle a été découverte par les hommes « civilisés », et je constate, d’ailleurs sans surprise, que ce sont les civilisés qui ont montré, vis-à-vis des sauvages, une sauvagerie ignoble.

Vers 1850, en effet, une bande de colons péruviens imagina d’envoyer ici des navires pour faire une râfle d’esclaves : les Maoris se défendirent comme ils purent, avec des lances et des pierres, contre les fusils des agresseurs ; ils furent battus, cela va sans dire, tués en grand nombre, et des centaines d’entre eux, capturés odieusement, durent partir en esclavage pour le Pérou. Au bout de quelques années, cependant, le gouvernement de Lima fit rapatrier ceux qui n’étaient pas morts de mauvais traitements ou de nostalgie. Mais les exilés, en rentrant chez eux, y rapportèrent la variole, et plus de la moitié de la population périt de ce mal nouveau, contre lequel les sorciers de l’île ne connaissaient point de remède.


III


5 janvier.

Aujourd’hui encore nous obtenons du commandant, un de mes camarades et moi, un canot à nos ordres pour nous rendre dès le matin dans l’île, et nous partons au petit jour. Il vente comme hier, et nous avons l’alizé droit debout, ce qui retarde notre marche à l’aviron, nous arrose d’embruns, nous mouille de la tête aux pieds. Non sans peine, nous atteignons la plage, nous étant un peu trompés de route au milieu des récifs de corail, qui sont plus que jamais bruissants et couverts d’écume blanche.

Atamou et les amis d’hier accourent pour nous recevoir, avec quelques sauvages de figure inconnue — et je fais parmi ces derniers l’acquisition matineuse d’un dieu en bois de fer, au visage triste et féroce, coiffé de plumes noires.