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L’ÎLE DE PÂQUES

Maintenant mes yeux s’accoutument, et je vois grouiller autour de nous des chats et des lapins.

Il me faut faire dans la matinée beaucoup d’autres visites du même genre, pour contenter les notables de l’île, et je pénètre en rampant au fond de je ne sais combien de gîtes obscurs — où la foule entre derrière moi, m’enserre dans une confusion de poitrines, de cuisses, nues et tatouées ; peu à peu je m’imprègne d’une senteur de fauve et de sauvage.

Tous sont disposés à me donner des idoles, des casse-tête ou des lances, en échange de vêtements ou d’objets qui les amusent. L’argent, naturellement, ne leur dit rien : c’est bon tout au plus pour orner des colliers ; mais les perles de verre sont d’un effet bien plus beau.

Cependant le plein jour est venu et, de tous côtés, le rideau de nuages se déchire. Alors, les aspects changent ; l’île plus éclairée, plus réelle, se fait moins sinistre, et d’ailleurs je m’y habitue.

Déjà, pour faire des marchés, j’ai livré tout ce que contenaient mes poches : mon mouchoir, des allumettes, un carnet et un crayon ; je me résous à livrer encore ma veste d’aspirant pour obtenir une massue extraordinaire que termine une sorte de tête de Janus à double visage humain, — et je continue ma promenade en bras de chemise.

Je suis décidément tombé au milieu d’un peuple d’enfants ; jeunes et vieux ne se lassent pas de me voir, de m’écouter, de me suivre, et portent derrière moi mes acquisitions diverses, mes idoles et mes armes, en chantant toujours des mélopées plaintives. Quand on y songe, en effet, quel événement que notre présence dans leur île isolée, où ils ne voient pas en moyenne tous les dix ans poindre une voile autour d’eux sur l’infini des eaux !

En plus du cortège qui se tient à distance, j’ai aussi conquis des amitiés particulières, au nombre de cinq : Petero, d’abord ; puis deux jeunes garçons, Atamou et Houga ; et deux jeunes filles, Marie et Juaritaï.

Toutes deux sont nues, Marie et Juaritaï, à part une ceinture qui retombe un peu aux places essentielles ; leur corps serait presque blanc, sans le hâle du soleil et de la mer, s’il