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Il fait froid et sombre. Nous avons vent debout ; un alizé violent nous jette au visage des paquets d’écume salée. L’île, pour nous recevoir, a pris sa plus fantastique apparence ; sur les grisailles foncées du ciel, ses rochers et ses cratères semblent du cuivre pâle. D’ailleurs, pas un arbre nulle part ; une désolation de désert.

Sans trop de peine, nous trouvons la passe au milieu des brisants qui, ce matin, font grand et sinistre tapage. Et, la ceinture de récifs une fois franchie, arrivés en eau calme et moins éventés, nous apercevons Petero, notre ami d’hier au soir, qui s’est perché sur une roche et nous appelle. Ses cris éveillent la peuplade entière et, en un instant, la grève se couvre de sauvages. Il en sort de partout, de creux de rochers où ils dormaient, de huttes si basses qu’elles semblaient incapables de recéler des êtres humains. De loin, nous ne les avions pas remarquées, les huttes de chaume ; elles sont là, nombreuses encore, aplaties sur le sol dont elles ont la couleur.

À l’endroit que Petero nous a désigné, à peine avons-nous débarqué, tous ces hommes nous entourent, agitant devant nous, dans la demi-obscurité matinale, leurs lances à pointe de silex, leurs pagaies et leurs vieilles idoles. Et le vent redouble, bruissant et froid ; les nuages bas semblent traîner sur la terre.

La baleinière qui nous a amenés s’en retourne vers la frégate, suivant les ordres du commandant. Mes deux camarades, qui ont des fusils, s’en vont par la plage, du côté d’un territoire à lapins que le Danois nous a indiqué la veille, — et je reste seul, cerné de plus en plus près par mes nouveaux hôtes : des poitrines et des figures bleuies par les tatouages, de longues chevelures, de singuliers sourires à dents blanches, et des yeux de tristesse dont l’émail est rendu plus blanc encore par les dessins d’un bleu sombre qui le soulignent. Je tremble de froid, sous mes vêtements légers, humides des embruns de la mer, et je trouve que le plein jour tarde bien à venir ce matin, sous le ciel si épais… Leur cercle s’est fermé de tous côtés, et, chacun me présentant sa lance ou son idole, voici qu’ils me chantent, à demi-voix d’abord, une sorte de mélopée plaintive, lugubre, et l’accompagnent d’un balancement de la tête et des reins comme feraient de grands