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Il s’était affaissé par terre ; en essayant de se relever sur les mains, il appela de nouveau :

— Tania !

Il invoquait sa femme, le grand jardin avec ses magnifiques fleurs mouillées de rosée ; il invoquait le parc, les pins aux racines velues, le champ de seigle ; il invoquait son merveilleux savoir, et l’orgueil, la joie de sa jeunesse ; il invoquait la vie, qui était si belle, si belle !… Il voyait, sur le parquet, une large mare de sang, et sa faiblesse était déjà si grande, qu’il ne pouvait plus articuler une seule parole ; mais une allégresse inexprimable, infinie, l’envahissait tout entier.

Au rez-de-chaussée, sous le balcon, les chants résonnaient toujours, et le moine noir lui murmurait à l’oreille qu’il était un génie, et qu’il allait mourir, uniquement parce que son faible corps humain avait rompu l’équilibre de ses éléments et ne pouvait plus servir d’enveloppe à l’âme d’un génie…

Lorsque Varvara Nikolaïevna se réveilla, Kovrine était mort ; son visage gardait le sourire de la béatitude.


anton tchékhov
Traduit du russe
par Léon Golschmann et Ernest Jaubert.