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claquant des dents. — Ce n’est rien, papa, cela va passer… tout cela va passer…

Kovrine était si ému qu’il ne pouvait parler. Il voulait dire à son beau-père, d’un ton plaisant : « Félicitez-moi, il paraît que me voilà devenu fou… » ; mais il put à peine remuer les lèvres, et sa pensée ne s’exprima que par une espèce de sourire amer.

À neuf heures du matin, on lui mit un manteau, une fourrure, on l’enveloppa d’un châle et on l’emmena chez le docteur. Son traitement commença.


VIII


L’été revint, et le médecin ordonna la campagne. Kovrine était guéri maintenant ; il ne voyait plus le moine noir, et il avait seulement besoin de réparer ses forces physiques. Il vivait chez son beau-père, buvait beaucoup de lait, travaillait à peine deux heures par jour, ne prenait point de vin et ne fumait pas.

Le 19 juillet, veille de la Saint-Élie, on célébra, selon l’usage, les vêpres à la maison. Lorsque le diacre tendit l’encensoir au prêtre, et que dans la vaste demeure un parfum s’exhala qui rappelait le cimetière, Kovrine en éprouva quelque malaise, et il s’en fut dans le jardin. Sans même jeter un coup d’œil sur les fleurs splendides qui l’entouraient, il se promena un peu et se reposa sur un banc ; puis il s’engagea dans le parc et poussa jusqu’à la rivière. Il descendit la berge et s’arrêta songeur, au bord de l’eau. Les pins mélancoliques aux racines velues qui, l’année précédente, l’avaient vu si jeune et si gai dans ce même endroit, ne chuchotaient plus ; ils demeuraient immobiles et muets, ils semblaient ne plus le reconnaître. Et de fait, ses beaux cheveux étaient maintenant coupés ras, sa démarche était lente, son visage plus gras et moins coloré que l’année précédente.

Il traversa la passerelle et se trouva sur l’autre bord de la rivière. Là où, un an auparavant, les seigles ondulaient,