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La semaine de l’Assomption arriva, puis le jour du mariage qui, sur le désir formel de Yégor Sémionovitch, fut célébré de la manière la plus bruyante, c’est-à-dire par une noce plantureuse qui dura deux jours. Rien que les mets et les boissons coûtèrent plus de trois mille roubles ; mais grâce à la mauvaise musique, aux toasts multipliés, au bruit que faisaient les domestiques affairés dans les salons trop étroits pour une assemblée si nombreuse, nul ne savoura les vins rares, ni les desserts de choix qu’on avait commandés à Moscou.


VII


Par une longue nuit d’hiver, Kovrine lisait dans son lit un roman français. La pauvre Tania, qui tous les soirs avait la migraine, à cause de la vie mondaine dont elle n’avait pas encore l’habitude, s’était endormie depuis longtemps ; elle rêvait, et parfois elle prononçait des paroles incohérentes.

Trois heures sonnèrent. Kovrine souffla la bougie ; mais longtemps encore il demeura, les yeux fermés, sans pouvoir s’endormir ; il attribuait son insomnie à la chaleur qu’il faisait dans la chambre à coucher, et au bruit des paroles que Tania ne cessait pas de prononcer. Il était déjà plus de quatre heures lorsqu’il ralluma la bougie : il aperçut le moine noir installé près de son lit, dans un fauteuil.

— Bonjour, lui dit le moine.

Et il lui demanda, après un court silence :

— À quoi penses-tu en ce moment ?

— Je pense à la gloire, lui dit Kovrine. Dans le roman français que je viens de lire, un jeune savant se consume de chagrin parce qu’il ne peut arriver à la gloire. Je ne comprends pas ce chagrin-là.

— C’est parce que tu es intelligent. Tu considères la gloire comme un jouet qui ne t’amuse guère ; aussi te laisse-t-elle indifférent.

— Oui, cela est vrai.

— La célébrité ne te sourit point. Quel plaisir ou quel