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VI


Quand il apprit de Kovrine que le « roman » était ébauché, et qu’il finirait même par un mariage, Pessotzky arpenta la pièce à grands pas, en s’efforçant de maîtriser son émotion. Ses mains tremblèrent, son cou se gonfla, devint livide ; enfin il ordonna d’atteler le char à bancs et s’en alla faire une course. Au coup de fouet dont il cingla son cheval, à la manière dont il enfonça brusquement son chapeau sur les sourcils, Tania comprit l’état de son âme.

Dans les serres, les pêches et les prunes étaient déjà mûres ; l’emballage et l’envoi de ces fruits tendres et délicats exigeaient beaucoup d’attention, de travail et de soins. La saison étant chaude et sèche à l’extrême, il fallait arroser tous les arbres en particulier ; de plus, cette sécheresse favorisait la multiplication des chenilles, que les jardiniers, Pessotzky et Tania elle-même écrasaient tout bonnement avec les doigts, à la grande horreur de Kovrine. Il fallait aussi recevoir les commandes, correspondre avec les clients. Et juste au plus fort de la besogne, alors qu’il n’y avait pas un moment à perdre, survinrent les travaux des champs, qui prirent la moitié des tâcherons, jusqu’alors occupés au jardin. Yégor Sémionovitch ne dérageait point : hâlé par le soleil, épuisé de fatigue, il courait sans cesse du jardin aux champs, criait qu’on le déchirait en pièces et qu’il finirait par se brûler la cervelle.

Les soins du trousseau, le bruit des ciseaux et des machines à coudre, la fumée produite par les fers à repasser, les caprices de la couturière, — une dame fort nerveuse et prétentieuse, — augmentaient encore le remue-ménage. En outre, des visiteurs arrivaient chaque jour, qu’il fallait recevoir et parfois même garder pour la nuit.

Et dire que tout ce tumulte se débrouillait sans que personne eût même l’air de s’en apercevoir ! Tania était comme si vraiment cet amour et ce bonheur l’avaient prise à l’im-