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portante, robuste, aux joues roses ; mais cette pauvre Tania, si faible et si pâle, lui plaisait positivement.

Et il prenait plaisir à lui caresser les cheveux, à lui presser les mains, à essuyer ses larmes... Enfin elle cessa de pleurer. Longtemps encore elle se plaignit de son père, de la vie pénible, insupportable qu’elle menait dans cette maison. Peu à peu, elle se prit à sourire, à déplorer en soupirant que le bon Dieu lui eût donné un si mauvais caractère ; finalement elle éclata de rire, se qualifia de pécore et quitta la chambre en courant.

Lorsqu’au bout de quelques minutes, Kovrine s’en fut dans le jardin, Yégor Sémionovitch et sa fille se promenaient côte à côte, comme si de rien n’était, en dévorant une tranche de pain bis avec du sel. car ils avaient grand’faim l’un et l’autre.


V

Très content d’avoir si bien rempli sa mission, Kovrine se dirigea vers le parc. Là, sur un banc, seul et rêvant à son aise, il perçut bientôt un bruit de voiture et des rires de femmes : c’étaient sûrement des visites. Lorsque les ombres du soir enveloppèrent les massifs, on entendit au loin des sons de violon et des voix qui chantaient ; cela le fil songer au moine noir. Où donc pouvait-elle être, maintenant, cette illusion optique ? Dans quel pays errait-elle à présent, et sur quelle planète ?

Mais à peine avait-il eu le temps de se remémorer la légende merveilleuse et de reproduire dans son imagination l’image sombre apparue dans le champ de seigle vert, que déjà, en face de lui, surgissait, de derrière un pin, et s’avançait à pas lents, sans produire le moindre bruit, un homme d’une taille moyenne, la tête découverte, les cheveux blancs, tout en noir et nu-pieds. Il ressemblait à un mendiant ; sur sa figure pale comme la mort, des sourcils noirs se dessinaient avec netteté. En saluant de la tête, avec un air affable, ce mendiant ou ce passant marcha vers le banc, de son pas silencieux,