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n’avait pas besoin de garder tant d’ouvriers... puisqu’on peut trouver des travailleurs à la journée... Voilà plus d’une semaine que les jardiniers n’ont plus rien à faire... je n’ai dit que cela... rien que cela... Et lui, il s’est emporté, il m’a jeté à la face tant de choses blessantes... Pourquoi ?

— Assez, assez ! — dit Kovrine en rajustant avec sa main les cheveux de la jeune fille. — Vous vous êtes querellés, vous avez pleuré... assez maintenant. Voyons, il ne faut pas rester fâchée aussi longtemps, ce n’est pas bien... D’autant plus que, vous le savez bien, il vous aime infiniment...

— Il a... gâté ma vie, reprit Tania toujours en larmes. Je n’entends plus jamais que des injures... et des insultes. Il me considère comme étant de trop ici. Eh bien ! il a raison. Je vais partir dès demain... Je me ferai télégraphiste... soit !...

— Allons, allons, Tania ! Voyons, il ne faut pas sangloter de la sorte. Il ne faut pas, ma chérie... Tous les deux vous avez le sang chaud, vous vous emportez facilement, et vous avez tort l’un et l’autre. Allons, je vais vous réconcilier.

Kovrine parlait d’un ton câlin et persuasif. La jeune fille continuait à gémir, des frissons lui secouaient les épaules, et elle crispait ses mains comme si un grand malheur l’avait frappée.

La pitié que le jeune homme éprouvait pour elle était d’autant plus vive que, tout en jugeant futile la cause de sa peine, il savait bien qu’elle souffrait profondément. Il fallait si peu de chose pour rendre malheureuse toute une journée, toute sa vie peut-être, une créature aussi frêle !

Tandis qu’il s’efforçait de consoler Tania, Kovrine se disait qu’en dehors de cette jeune fille et de son père il lui serait impossible de trouver dans le monde entier des êtres qui le chérissent aussi tendrement.

Sans eux, lui, qui avait tout jeune perdu ses parents, n’aurait peut-être jamais su le prix d’une caresse désintéressée, de cet amour naïf qui ne raisonne point, de cette affection que l’on éprouve uniquement pour ses proches.

Et il sentait que les nerfs de cette femme frémissante et affligée attiraient ses propres nerfs à demi malades, comme l’aimant attire le fer... Il n’eût jamais aimé une femme bien