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Et il se ressouvint de Tania, qui trouvait si intéressants les articles de son père.

D’une taille assez exiguë, toujours pâle, et maigre à ce point qu’on voyait ses os, elle avait des yeux foncés, largement ouverts, pleins d’intelligence, qui semblaient toujours examiner ou chercher quelque chose. Elle marchait comme son père, à pas menus, et toujours d’un air pressé. Tania aimait fort à discuter et en parlant elle accompagnait chaque phrase de gestes expressifs. Elle était visiblement bien nerveuse, elle aussi !

Kovrine revint à sa lecture, mais il n’y comprit pas grand chose et il mit les brochures de côté.

Cette surexcitation qui le charmait tout à l’heure, quand il écoutait la musique et dansait la mazurka, lui était maintenant pénible, en éveillant dans son esprit une multitude de pensées à la fois. Il se leva et se promena dans la pièce, toujours songeant au moine noir. L’idée lui vint que, personne, hors lui, n’ayant vu l’étrange phénomène, il était donc bien malade pour en être tombé aux hallucinations. Cette idée l’effraya d’abord, mais pas beaucoup, ni longtemps.

« Puisque cela me fait du bien, sans faire du mal à personne, je n’ai pas à m’inquiéter de mes hallucinations », se dit-il.

Et de nouveau il fut heureux. Il s’étendit sur le canapé et se prit le front à deux mains, comme pour retenir l’allégresse qui remplissait tout son être sans qu’il en pénétrât la cause. Ensuite il se promena encore un peu dans la pièce et se mil à travailler. Mais les pensées qu’il trouvait dans ses livres ne le satisfaisaient point. Il appelait de ses vœux quelque chose de sublime, de gigantesque, d’immense. Au point du jour, il se déshabilla et se coucha bien à contre-cœur : il fallait tout de même dormir.

Lorsque Kovrine entendit les pas de Yégor Sémionovitch dans la maison, il sonna et pria le domestique de lui servir du vin. Il but avec plaisir quelques verres de bon vin rouge ; puis il ramena ses couvertures jusque par-dessus la tête, ses idées s’embrouillèrent et il s’assoupit.