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de ces phrases comme en débitent les auteurs confus. Enfin il céda.

— Dans ce cas, il faut que tu lises d’abord cet article de Gaucher et ces petites notices russes, — murmura-t-il en feuilletant les brochures de ses mains tremblantes, — sinon tu n’y comprendrais goutte. Avant de lire ma réfutation, il faut connaître ce que je réfute... Mais ce sont là de pures billevesées. et joliment fastidieuses... Et puis, il n’est, je crois, que temps de se coucher...

Tania sortit. Son père s’installa sur le canapé à côté de Kovrine et poussa un profond soupir.

— Oui, mon garçon, — commença-t-il après un court silence ;— voilà comment vont les choses, mon cher docteur. J’écris des articles, j’expose, je reçois des médailles... ce Pessotzky a des pommes grosses comme la tête ; Pessotzky a fait fortune avec son jardin... Bref, c’est un heureux mortel que ce Pessotzky... » Mais je me le demande : à quoi bon tout cela ? Il est vrai que le jardin est beau, un vrai modèle... Ce n’est pas un jardin, c’est un établissement, qui offre même une certaine importance au point de vue social, car il constitue, pour ainsi dire, le premier pas vers une ère nouvelle de la culture et de l’industrie nationales... Mais à quoi bon ?

— Les résultats sont trop évidents...

— Ce n’est pas cela que je veux dire. Je me demande simplement ce que deviendra le jardin, lorsque je serai mort. Quand je ne serai plus là, il ne restera pas seulement un mois dans le même état. Le vrai secret du succès, vois-tu, ce n’est pas la vaste superficie du jardin ni le grand nombre des ouvriers : c’est l’amour que j’ai pour mon art. Je l’aime plus que moi-même. Remarque un peu : c’est moi qui fais tout. Je travaille depuis le matin jusqu’au soir. Les greffes, l’émondage, les plantations, je fais tout de mes propres mains. Si l’on veut m’aider, j’en conçois de la jalousie et je m’irrite au point d’en devenir grossier. Tout le secret, c’est l’amour, c’est-à-dire l’œil vigilant du maître, son travail personnel, et le sentiment particulier que l’on éprouve quand l’on s’absente une heure pour aller voir un de ses amis, par exemple : si tranquille que l’on paraisse, on est comme une âme en peine ; on se demande tout le temps si rien d’extraordinaire