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Il y a mille ans de cela, un moine, velu de noir, traversait un désert, je ne sais où, en Syrie ou en Arabie... A quelques lieues de cet endroit, des pêcheurs virent un autre moine noir qui s’avançait lentement sur la surface du lac. Cet autre moine-là n’était qu’un mirage... Maintenant, tâchez d’oublier toutes les lois de l’optique, et puis écoutez ! Ce mirage en créa un second, lequel créa un troisième, et ainsi de suite à l’infini, de sorte que l’image du moine noir se propageait d’une couche atmosphérique à l’autre... On le voyait tour à tour en Afrique, en Espagne, aux Indes, dans l’extrême Nord... Enfin, il franchit les limites de l’atmosphère terrestre ; et à présent il erre par tout l’univers, sans jamais réussir à rencontrer un milieu atmosphérique propre à le dissiper. On l’aperçoit peut-être maintenant dans la planète Mars ou dans une étoile de la Croix-du-Sud... Mais, ma petite amie, voici l’essentiel, le nœud, pour ainsi dire, de la légende : juste mille ans après le passage du moine dans le désert, le mirage doit retomber dans l’atmosphère terrestre et se montrer aux hommes encore une fois. Et ce millier d’années toucherait à sa fin... D’après le sens de la légende, nous devons nous attendre à voir ce moine apparaître un de ces jours...

— Un drôle de mirage ! dit Tania, qui ne semblait point goûter cette merveilleuse histoire.

— Le plus étonnant, reprit Kovrine, c’est que je ne puis me rappeler d’où elle me vient. L’aurais-je lue, ou entendue ? Ou peut-être le vis-je en rêve, ce moine noir ? Je vous jure que je ne m’en souviens pas. Mais cette légende m’intéresse tout de même. J’y ai pensé toute la journée.

Après avoir quitté la jeune fille, qui s’en fut rejoindre ses hôtes, Kovrine, toujours songeur, fit le tour des parterres. Le soleil déclinait déjà. Les fleurs, qu’on venait d’arroser, exhalaient un parfum suave et irritant. De nouveau la musique résonna dans la villa Pessotzky ; les accords lointains du violon donnaient l’impression d’une voix humaine. En cherchant à se rappeler où il avait lu ou entendu la légende, Kovrine se dirigea lentement vers le parc et, sans qu’il s’en fût aperçu, il se trouva au bord de la rivière.

Par un sentier pratiqué dans la berge escarpée,