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rouges.

Mais ce qui, par-dessus tout, animait le jardin, ce qui lui donnait un aspect joyeux, c’était le mouvement continuel qui s’y remarquait. De l’aube à la nuit, des hommes armés de pelles, de brouettes et d’arrosoirs, se démenaient comme des fourmis autour des arbres, dans les allées, dans les plates-bandes...

Il était déjà dix heures du soir lorsque André arriva chez les Pessotzky. Il trouva mademoiselle Tania et son père, Yégor Sémionovitch, très inquiets l’un et l’autre : un ciel clair, étoile, d’accord avec le thermomètre lui-même, annonçait une gelée pour le matin, et le jardinier en chef, Ivan Karlovitch, était parti pour la ville ; personne sur qui l’on pût compter pour prendre les précautions nécessaires.

Pendant le souper, la conversation ne roula que sur la gelée imminente. Il fut décidé que Tania ne se coucherait pas : à une heure du matin, elle ferait le tour du verger pour surveiller le travail des ouvriers. Son père devait se lever à trois heures.

Kovrine passa toute la soirée à causer avec Tania et, à minuit passé, il accompagna la jeune fille dans le jardin. Il faisait froid. Une forte odeur de brûlé remplissait déjà la cour. Dans le grand jardin fruitier, qui rapportait net à son propriétaire plusieurs milliers de roubles par an, une épaisse fumée s’étendait sur la terre et, enveloppant les arbres, devait les préserver de la gelée. Les arbres étaient disposés comme sur un damier : leurs lignes droites et régulières faisaient songer aux rangs d’une armée, et cet ordre géométrique, leur hauteur identique, la similitude absolue de leurs troncs et de leurs cimes, tout donnait à ce tableau quelque chose de monotone et même de fastidieux.

Kovrine et Tania parcoururent les rangées, parmi lesquelles s’étalaient des tas de paille et d’ordures. Çà et là des ouvriers erraient dans ce brouillard, semblables à des ombres. Les cerisiers, les pruniers, certaines espèces de pommiers étaient seuls en fleurs, mais tout le verger était comme noyé sous la fumée ; et ce ne fut qu’en arrivant auprès des pépinières que le jeune homme put enfin respirer librement.

— Déjà dans ma première enfance cette fumée me suffoquait, dit-il en haussant les épaules, et j’en suis encore à me demander comment elle peut garantir les arbres du froid.