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la façade, et deux lions de plâtre dont l’enduit s’écaillait par places flanquaient la porte d’entrée, où se tenait un laquais en habit noir. Un vieux parc, triste et sévère, dessiné à la française, s’étendait à un bon kilomètre de la maison jusqu’à la rivière ; il se terminait là par une berge abrupte où croissaient des pins dont les racines nues étaient pareilles à des pattes velues. Au-dessous luisait la surface morne de l’eau ; et des bécassines voletaient avec des cris plaintifs. Une telle mélancolie imprégnait ce paysage qu’il inspirait l’envie de composer des ballades.

En revanche, tout près de la villa, dans la cour et dans le verger qui, avec ses nombreuses pépinières, occupait un espace d’une trentaine d’hectares, tout respirait la gaieté, la joie de vivre, même par les temps les plus sombres. Nulle part ailleurs André n’avait vu des roses, des lis, des camélias aussi merveilleux, ni des tulipes aussi diverses de couleurs, depuis les blanches comme du lait jusqu’aux noires comme du charbon ; jamais il n’eût imaginé une telle opulence florale. Le printemps commençait à peine, et les vrais trésors du jardin étaient encore abrités dans les serres chaudes ; mais les plantes qu’on voyait fleurir le long des allées et dans les plates-bandes suffisaient pour transporter le promeneur dans un royaume de couleurs tendres, surtout aux heures matinales où chaque pétale étincelle de rosée.

Ce qui jadis, en son jeune âge, produisait sur Kovrine une impression presque féerique, c’était la partie décorative du jardin, ce que le propriétaire appelait lui-même, dédaigneusement, « des bagatelles ». Quelles formes bizarres n’y voyait-on pas, quelles monstruosités raffinées, quelles inversions de la nature ! Il y avait là des arbres à fruits écartelés contre les murs, un poirier pyramidal, des chênes et des tilleuls sphériques, un pommier épanoui comme une ombrelle, des arcades, des monogrammes, des candélabres, jusqu’au chiffre 1862 figuré avec des pruniers et qui marquait la date où Pessotzky avait commencé à s’occuper d’horticulture. Çà et là surgissaient de jeunes arbres jolis et sveltes, droits et robustes, et ce n’était qu’en les examinant de près que l’on reconnaissait en eux des groseilliers à grappes blanches ou rouges.