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la revue de paris

— Je suis très malade !

— C’est comme les singes de ce pays-là, fit alors un très gros homme avec bienveillance… la Néerlande les tue !

— Quelle drôle de peau ! ajouta un autre.

Et comment voit-il ? demanda un troisième, en montrant mes yeux.

Le cercle se rapprocha, m’enveloppa de cent regards curieux, et toujours des nouveaux venus pénétraient dans la salle.

— Comme il est long !

Il est vrai que je dépassais les plus grands de toute la tête.

— Et maigre !…

— Ça n’a pas l’air de beaucoup les nourrir, l’anthropophagie !

Toutes les voix n’étaient pas malveillantes. Quelques individus sympathiques me protégeaient :

— Ne le pressez pas comme ça, puisqu’il est malade !

— Allons, ami, du courage ! dit le gros homme en remarquant ma nervosité. Je vais vous conduire moi-même à un hôpital.

Il me prit par le bras ; il se mit en devoir de fendre la foule et jeta ces mots :

— Place pour un malade !

Les foules hollandaises ne sont pas très farouches : on nous laissa passer, mais on nous accompagna. Nous longeâmes le canal, suivis d’une multitude compacte ; et des gens criaient :

— C’est un cannibale de Bornéo qu’on mène à l’hôpital !

Enfin, nous atteignîmes un hôpital. C’était l’heure de la visite. On me mena devant un interne, jeune homme à lunettes bleues, qui m’accueillit avec maussaderie. Mon compagnon lui dit :

— C’est un sauvage de Bornéo.

— Comment, un sauvage ! s’écria l’autre.

Il ôta ses lunettes pour me regarder. La surprise le tint un moment immobile. Il me demanda brusquement :

— Est-ce que vous voyez ?

— Je vois très bien…

J’avais parlé trop vite.

— C’est son accent ! dit le gros homme avec fierté : Répétez, ami !