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celle des jeunes peupliers, légère comme un reflet, et j’atteignais, avec cela, la stature des géants.

Lentement, un projet se mit à naître. Puisque ma vie était sacrifiée, puisque nul de mes jours n’avait de charme et que tout m’était ténèbres et amertume, pourquoi croupir dans l’inaction ? À supposer qu’aucune âme n’existât qui pût répondre à la mienne, du moins valait-il de faire l’effort pour s’en convaincre. Du moins valait-il de quitter ce morose pays, d’aller trouver dans les grandes villes les savants et les philosophes. N’étais-je pas en moi-même un objet de curiosité ? Avant d’appeler l’attention sur mes connaissances extra-humaines, ne pouvais-je exciter le désir de faire étudier ma personne ? Les seuls aspects physiques de mon être n’étaient-ils pas dignes d’analyse, et ma vue, et l’extrême vitesse de mes mouvements et la particularité de ma nutrition ?

Plus j’y rêvais, plus il me paraissait raisonnable d’espérer, et plus ma résolution croissait. Arriva le jour où elle fut inébranlable, où je m’en ouvris à mes parents. Ni l’un ni l’autre n’y comprit grand’chose, mais tous deux finirent par céder à des instances réitérées : j’obtins de pouvoir me rendre à Amsterdam, quitte à revenir si le sort m’était défavorable.

Je partis un matin.


vi


De Zwartendam à Amsterdam, il y a une centaine de kilomètres environ. Je franchis facilement cette distance en deux heures, sans autre aventure que l’extrême surprise des allants et venants à me voir courir d’une telle vitesse, et quelques rassemblements aux abords des petites villes et des gros bourgs que je contournais. Pour rectifier ma route, je m’adressai deux ou trois fois à de vieilles gens solitaires. Mon instinct d’orientation, qui est excellent, fit le reste.

Il était environ neuf heures quand j’atteignis Amsterdam.