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de questionner au lieu de répondre ; et M. Lesec fut tout d’un coup embarrassé de sa personne et confus de ce qu’il venait de dire.

Ma marraine sourit en le pénétrant.

— Ami Lesec, lui dit-elle, ce n’est pas le moment de m’en défendre, car je prononcerais ma propre condamnation. Dans tous les temps je déclarerai qu’il m’avait été donné un cœur susceptible de l’amour le plus pur et le plus ardent. Si je ne l’ai pas éprouvé, c’est apparemment faute d’avoir rencontré celui que j’en aurais cru digne.

— Et jamais, dit Lesec en tremblant, mais poussant la curiosité jusqu’à l’héroïsme, jamais vous n’avez éteint le flambeau qui vous servit à chercher un pareil homme ?

Ma marraine regarda M. Lesec d’une manière encore plus désespérante.

— Voyons, dit-elle d’un air indifférent, ce que vous penserez d’une idée bizarre que votre question vient de faire entrer dans ma tête. Comment croyez-vous qu’eût dû être fait, au moral et au physique, l’homme capable d’inspirer une passion à une femme faite comme moi ?

Lesec réfléchit, et demanda du temps pour répondre.

— Soit, remettons la réponse à demain, dit ma marraine.


Le lendemain, M. Lesec entra dans le grand salon d’un air triomphant, et, au lieu de saluer ma marraine comme à l’ordinaire, il commença ainsi :

— Il faudrait qu’il fût beau de corps et d’esprit, qu’il fût doux dans son caractère et fort dans ses résolutions ; qu’il eût de l’enjouement et de la bonhomie, qu’il fût complètement ignorant de son mérite jusqu’à aimer mieux la réputation d’une bête que celle d’un homme d’esprit, et que cependant son esprit fût si élevé, si éclairé, si judicieux, son imagination si brillante, si riche, sa conversation si éloquente, ses idées si neuves, si entraînantes, son âme si noble, si grande, si généreuse, si ardente, que l’on pût, après l’avoir entendu et compris, l’élever sur un piédestal et fléchir le genou devant sa gloire.

M. Lesec s’essuya le front, et ma marraine rêveuse lui dit :

— Cette description n’est pas satisfaisante ; un homme tel que vous le dépeignez doit être aimé de toutes les femmes,