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cette même femme. Toutes ne sont pas également susceptibles de ce fort attachement qui, bien dirigé, fait le plus beau côté de leur sexe. Le plus grand rival de l’homme dans le cœur de la femme, c’est l’amour d’elle-même, c’est la vanité qu’elle tire de son visage ou de son esprit : la coquette avide de louanges et de succès aime tous les hommes et n’en aime pas un seul. Un époux, un amant la corrigera peut-être, mais pas au point d’en être aimé comme Roméo le fut de Juliette, comme Othello le fut de Desdemona.

» Je ne crains pas de le dire, loin que cette passion violente que les femmes craignent d’avouer doive être en elles méprisée ou blâmée, elle mérite peut-être d’être regardée comme la preuve d’une belle âme et d’un esprit vraiment doué des qualités de leur sexe. Celle qui sacrifie son honneur, son repos, sa réputation, sa fortune, sa vie pour un amant ne recevra jamais de moi le conseil de céder ainsi à son aveugle dévouement ; j’essayerai au contraire de toutes mes forces de l’arrêter et de la préserver de tant de maux ; mais, dans ce cas, j’espérerai plus de l’amant que de l’amante. J’irai le trouver, si je puis, je lui parlerai d’honneur, de courage, de générosité, de délicatesse, et, si je le persuade, son amante sera sauvée. Mais, elle ! de quoi lui serviraient mes raisonnements si froids à ses yeux, si odieux à son cœur ? Elle les écouterait à peine, et, faite en amour pour obéir et non pour calculer, elle me dirait : « Il le veut ainsi, je me perds, mais c’est pour lui ; toutes vos prédictions s’accompliront, je le sais, je n’attends que la misère et la mort pour prix de ma soumission à ses désirs, mais ses désirs sont ma loi. »

» Ainsi me répondrait-elle, et moi, je l’avoue, au lieu de l’abandonner et de l’accuser, je ne saurais m’empêcher de la regarder avec admiration et respect. Je ne haïrais que l’homme qui acceptera de sa part de si funestes sacrifices.

» Et qu’on ne me dise pas qu’une passion qui conduit à de tels égarements est mauvaise en elle-même. Elle est dangereuse, sans doute, puisque le discernement d’un bon choix décidera seul d’un avenir de vertus ou de vices pour la femme, mais c’est l’âme de la femme, c’est le vœu de sa nature, c’est la cause première de tous les effets bons ou mauvais de sa conduite, comme l’amour de la gloire, qui est chez l’homme