Page:Revue de Paris - 1895 - tome 3.djvu/230

Cette page a été validée par deux contributeurs.

au cœur qu’il ronge et qu’il asservit, qui chaque jour croît dans le secret des plus intimes pensées, s’insinue, pénètre comme un poison, breuvage funeste, mais enivrant, qu’on savoure sans prudence et qui bientôt après dévore les entrailles et, comme un feu liquide, court de veine en veine avec le sang et la vie !… ô femmes, s’il en est parmi vous quelqu’une qui ne l’ait jamais ressenti, cet amour brûlant, qu’elle n’ose pas s’en vanter ou qu’elle se vante de n’être pas femme ! Stérile de cœur, elle a passé comme une fleur sans éclat, sans parfum et sans fruit. Vide de souvenirs, elle n’a connu de la vie ni les cuisantes douleurs, ni les joies délirantes. Insensible et nulle, elle n’a eu de son sexe ni les misérables faiblesses, ni les héroïques passions !

» La femme qui aime est de tous les êtres le plus courageux, le plus magnanime, le plus constant, le plus dévoué. Demandez-lui tout ce qui est grand, tout ce qui est énergique, tout ce qui semble au-dessus des forces humaines et des penchants de la nature ; vous l’obtiendrez, car sa passion fait d’elle une fanatique prête au martyre, une sainte digne du ciel ; mais ne lui demandez pas le sang de l’innocent, car elle vous le donnerait, ne lui prescrivez pas le vice, le déshonneur, la trahison, l’adultère car elle vous obéirait, et, d’un ange de Dieu, vous feriez un démon du mal.

» Et vous, qui inspirez cette passion impétueuse à l’être faible qui ne sait pas raisonner, mais sentir, qui ne délibère point, mais qui agit, homme que Dieu doua de la force du corps et conséquemment du calme de l’esprit dans les moments difficiles, c’est à vous qu’il appartient de régner avec justice sur l’esclave fidèle et dévouée qui ne respire que pour vous. Dirigez la puissance que vous fîtes naître ! élevez-la vers le bien, car la femme qui vous aime imitera toujours vos vertus et vos vices. Quel que vous soyez, la copie ressemblera au modèle, elle outrera même ou surpassera sa laideur ou sa beauté.

» L’amour d’une femme pour un homme de bien est donc le ressort de toutes les grandes vertus et du plus haut courage. Il est bien rare qu’un homme de cœur et d’esprit n’élève pas vers lui celle dont il est aimé, mais le plus ou moins d’amour qu’il inspire fait la mesure des qualités ou des défauts de